Artistes
Anne Lebréquer : née en 1984 à Cherbourg, vit à Nantes, travaille à Nantes.
Expositions personnelles
2025
- «Entendez-vous leur cataclop se désunir ?», Grand Café – centre d’art contemporain, MEAN | Espace de production et de diffusion et Les Ateliers du Château d’Eau, Saint-Nazaire
2024
- «Avec hennir comme dernier cri parce qu'humanité avalée», Musée d'Art et d'Histoire de Cholet
- «Itinérance», Espace Foulques Nerra, Maulévrier
Expositions collectives
2023
- «Eurofabrique», La Gaieté Lyrique, Paris
2022
- «Eurofabrique», Mame, Cité de la Création et du Design, Tours
- «Eurofabrique», Reset, Bruxelles
- «Eurofabrique», Grand Palais Éphémère, Paris
Résidences
2024
- «Résidence de territoire "Jeune Création"», Grand Café – centre d’art contemporain, MEAN | Espace de production et de diffusion et Les Ateliers du Château d’Eau, Saint-Nazaire
2023
- «Résidence Les Affluentes», École d'Art du Choletais x ESAD TALM Angers
Bourses, prix, aides
2024
- MATIÈRE VIVE, Lauréate Accompagnement Pôle Arts Visuels Pays de la Loire 2024-26
Workshops, enseignement
2025
- Licence Arts Plastiques "Expérimentations Textiles" à l'Université catholique de l'Ouest à Angers
Écoles, formations
2023
- DNSEP GRADE MASTER (Félicitations du Jury) ESAD TALM Angers
2007
- MASTER IUP Métiers des Arts et de la Culture Université de Montpellier
2004
- DEUG de Lettres Modernes Université de Caen
2003
- CLASSE PRÉPARATOIRE AUX GRANDES ÉCOLES HYPÔKÂGNE Lycée Millet de Cherbourg
2002
- BACCALAURÉAT Littéraire Lycée Henri Cornat de Valognes
Démarche Artistique
Tenir debout.
Cette locution évoque pour Anne Lebréquer la verticalité d’un point de vue physique, architectural et moral. C’est la base du corpus sculptural qu’elle a engagé.
Les armatures, ou squelettes de fer, dans ses installations, sont à nu, sondant les notions du soutien ou de l’absence.
Ils soutiennent des formes fragmentaires et animales, dans des jeux d’équilibre précaire.
Elle opère en creux pour donner chair à des fragments de corps d’équidés en résine et fibre de verre. Le choix ou le détournement de matériaux et d’objets importe beaucoup et s’intègre à l’acte créatif.
Ils sont détournés de leur vocation première, utilisés tant pour leurs formes et leurs histoires que pour leurs valeurs symboliques.
Elle met en mouvement des vestiges d’harnachement équin dans des chorégraphies qui en appellent à une certaine fragilité.
Ses oeuvres suggèrent, l’animal, le cheval, mais les formes ont été fragmentées, arrachées, restructurées, de telle manière qu’elles acquièrent leur propre beauté autonome et abstraite.
Dans son travail de sculptrice, ses formes hybrides, organiques, animales, fantômes, morcelées, s’apparentent à des formes évidées, des peaux, desquelles palpitent un élan d’émancipation ou de vie.
La représentation du corps animal se confond avec le corps humain et le corps social.
S’appuyant sur la littérature, l’histoire, l’art et le patrimoine, elle superpose des bribes de narration existantes avec des récits contemporains, intimes et collectifs.
Elle fraye sur son terrain plastique, entre le décalage et le décentrement, cherche interroger, à créer un malaise, ou à combler un manque.
Les matériaux qu’elle investit ont une histoire chargée d’odeurs : cuir, corde, ferraille.
Tous ses matériaux s’enlacent, se transpercent, se soutiennent, se fondent les uns dans les autres pour évoquer des dualités complexes, des rapports anthropocentrés, entre violence et mémoire, vulnérabilité et beauté, souffrance et liberté.
On pourrait aussi parler de l’art du nouage ou de l’attachement dans sa pratique.
La corde matériau à fort pouvoir haptique et symbolique du lien est très présente dans son travail, notamment de tissage.
Livret de visite - Entretien
Le Grand Café: Cette exposition est l’aboutissement d’une résidence de cinq mois sur le territoire nazairien. Comment s’est déroulée cette expérience ?
Anne Lebréquer: En premier lieu, j’ai commencé des recherches aux archives de la Ville de Saint-Nazaire, où j’ai collecté de la documentation – des photographies, des coupures de journaux, le livre d’or du port – pour appréhender l’activité et le trafic du port, relancés par la Première Guerre mondiale.
Dans le cadre de cette résidence, j’ai eu la chance de bénéficier d’un atelier de travail individuel au Château d’Eau, des ateliers d’artistes, gérés par l’association Galerie Hasy, accueillie par Thierry Merré et Hélène Cheguillaume. J’ai pu commencer à collecter des matériaux chinés (cordes, ferraille) que j’intègre dans mon travail, issus de la manutention portuaire, mais aussi des sangles et des brides, issues du harnachement équin. J’ai pu prendre le temps de tester la mise au point de nouvelles matières et techniques en modelage pour une des sculptures présentées ici.
Ce temps long sur place, a été nourri de rencontres importantes qui m’ont fait avancer techniquement et plastiquement dans ma pratique. Hervé Rousseau, l’ancien régisseur du Grand Café, à la retraite aujourd’hui, avait une connaissance pointue de l’écosystème nazairien, permettant d’initier des opportunités de collaborations. J’ai ainsi fait la connaissance de Gabriel Boudot, installé comme artisan du cuir, bourrelier, harnacheur, sellier dans le centre-ville. Dès nos premiers échanges, il a embarqué dans mon projet avec enthousiasme, le début d’un partage et d’une collaboration qui s’est étirée plusieurs semaines. Après avoir sourcé des peaux animales, j’ai pu appréhender une technique de moulage et formage du cuir. Il m’a accueillie en immersion dans son atelier, au milieu de ses outils. Sa technique et son savoir-faire m’ont directement inspirée une forme reprenant la ligne de dos d’un cheval, issue de la prise de mesure directe sur une bête.
J’ai eu la chance d’avoir à mes côtés, Elliot Jammes, le nouveau régisseur du Grand Café, qui m’a épaulée sur toute la production de l’exposition, notamment dans le travail du métal (soudure, découpe, cintrage, oxydation), les armatures des sculptures, les croquis techniques, le maquettage, etc. J’ai pu bénéficier ainsi des équipements et de l’outillage dédié à l’atelier technique, sur place.
J’ai aussi profité de l’accompagnement de Pauline-Alexandrine Deforge, qui a assuré le suivi de ma production avec une vraie attention et bienveillance.
Dans les derniers temps, j’ai été introduite à la déchèterie ROMI Loire à Montoir-de-Bretagne, pour récupérer, chiner et réutiliser des pièces issues de l’industrie portuaire, des poulies.
G.C. Comment est née l’idée de cette exposition ? Pouvez-vous nous parler des œuvres qui la composent ?
A.L. Introduire la suspension d’un cheval dans l’espace fait nécessairement référence au geste formel du cinéaste Sergueï Eisenstein dans une séquence d’ «Octobre» avec son cheval blanc qui se fait engloutir par l’actionnement d’un pont-levant.
Il y a dans mon approche quelque chose d’une tension dramatique et chorégraphique où des lignes diagonales, symboles de la manutention portuaire, viennent confronter mais aussi soutenir des lignes courbes et plus organiques d’un corps. A travers l’œuvre « Entendez-vous leur cataclop se désunir ? », la figuration animale de l’anatomie est perturbée par des proportions anthropomorphiques, qui laisse place à une forme d’étrangeté.
Avec ce corps ballotté et dénaturé, loin de la terre, marchandisé, c’est une organisation figurative qui est détruite. Il témoigne que « la mémoire défigurée » est aussi animale car directement touchée par les accidents de l’histoire humaine et en accuse dans sa propre chair. Les sutures, plis et creux qui apparaissent sur la peau du cuir entrent en tension avec le froid du métal, à l’ère de la guerre industrielle.
La synchronicité a fait que je suis tombée sur une carte postale, au moment où Sophie LegrandJacques, directrice du Grand Café et Pauline-Alexandrine Deforge, chargée de projet, ont formulé leur invitation en résidence. Cette photographie met en scène un cheval bizarrement suspendu dans le vide, et prise depuis le port de Saint-Nazaire pendant la Première Guerre Mondiale.
C’est le point d’équilibre – comme ce cheval suspendu équilibré par des lests – qui m’a intéressée, à la fois formellement, physiquement et métaphoriquement. J’ai voulu interroger au cœur de son histoire, celle de la Première Guerre mondiale, la mémoire à l’œuvre dans cette image, devenue une carte postale. L’historien de l’art Aby Warburg a fait de la survivance le motif central de son approche des images. C’est la nature fantôme ainsi que la capacité de revenance et de hantise qu’elle introduit qui m’a orientée vers une sculpture à la présence fantomatique. « Alors les chevaux se mirent à gémir tous ensemble » est inspirée d’un objet indéfini, sorte de bât de portage, et composée de lignes cintrées et soudées, en acier, de quatre brides en cuir patinées, prolongées par des mousquetons. Elle fonctionne comme une allégorie de la chaîne de soins négligée, de la souffrance et détresse animale et humaine.
Les chaînes, câbles et cordes qui se croisent et sont nécessaires au levage portuaire s’incarnent dans la polyrythmie sur laquelle est construite la pièce sonore « Entendez-vous leur cataclop se désunir ?». Il joue d’une dualité entre des sons mécaniques, industriels, enroulement de chaîne, cliquetis et des sons de sabots, de galops de chevaux. Dans l’ambiance générale quelque chose semble sourdre.
G.C. La littérature nourrit votre travail, notamment dans le choix des titres. Pouvez-vous nous parler de l’origine du titre de l’exposition « Entendez-vous leur cataclop se désunir ? »
A.L. Ce titre porte en lui quelque chose d’intrigant, notamment par sa forme interrogative. Le mot « cataclop » est une onomatopée qui fait référence au son produit par des sabots qui martèlent le sol. J’aimais la rythmique de ce mot que j’ai lu dans un très beau texte d’Antoine Mouton intitulé «Les chevals morts».
J’aime aussi manier des mots de vocabulaire liés à d’autres champs lexicaux. « Se désunir » est un terme qu’on utilise également dans le monde équin et parle d’une allure et d’un rythme dans le déplacement qui serait défaillant.
Ce titre fait aussi référence aux bruits de chaînes et palans qui actionnent une sorte de mélodie de la menace, celle qui veut nous cliver, nous désunir. C’est le déplacement, la migration forcée ou utile de soldats, houille, ou chevaux traités au même niveau en tonnages, pour les besoins de la guerre, qui résonne.
Par ailleurs, j’ai fait des études de lettres, donc la littérature occupe une place significative dans mon imaginaire et mon système référentiel. La littérature fonctionne comme un matériau pour moi, sonore, avec les gémissements décrits par Giono dans « Le Grand Troupeau » ou les cris de chevaux à l’agonie sur le front rapportés par l’auteur Erich Maria Remarque, par exemple.
G.C. Quel est votre rapport au monde animal et notamment à l’univers du cheval qui imprègne votre travail ?
A.L. J’ai grandi dans le Nord Cotentin, en Normandie, sur une presqu’île où le cheval était très présent dans le paysage. Familialement aussi, j’ai toujours été entourée de chevaux, de course, de selle, d’attelage, de loisirs, de compagnonnage. J’ai appréhendé et côtoyé cet animal, plus jeune, de plusieurs manières par le soin et l’équitation, par exemple. Ce sont des expériences charnelles et des liens sensibles, prémices d’un questionnement sur des modes de relations à réinventer, via l’observation, en s’extrayant de la prédation et la violence, inhérente à notre espèce. Je m’intéresse au vivant, plus particulièrement au monde animal, au lien qu’on entretient avec celui-ci, et à notre rapport anthropocentré.
Le motif du cheval revient régulièrement dans mon travail. Comme il appartient à la mémoire collective, il me permet de raccorder les temps, d’une guerre à échelle mondiale, industrielle à aujourd’hui. Le corps du cheval est toujours morcelé, disloqué ; il en appelle à une fragilité du vivant.
Parmi la documentation recueillie aux archives, se trouvait donc cette photographie d’un cheval débarqué et ballotté au-dessus des docks du port de Saint-Nazaire en 1915. Comme je m’intéresse à l’Histoire et à la mémoire, j’ai commencé des recherches sur la gestion vétérinaire et hippotechnique des effectifs et importations de chevaux par millions pendant cette période sombre. Les chiffres dépassent l’imagination et questionnent nécessairement la vision anthropocentrique de la guerre. On parle d’une « hécatombe » de près de 1 140 000 chevaux.
Le Grand Café, Saint Nazaire

Tél. : 0629746829
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