Artistes
Chloé Jarry
Calorifère en trois, 2025Galerie 5, université d'Angers, Angers
Collimateur excentré, 2019Galerie du Haut Pavé, Paris
Fouler au carré, 2018PARTcours : Lieux-Communs, Bruxelles, Résidence La menuiserie, Therdonne
Bullecraft, 2017pad / la Cabine, Angers
Effet de seuil, 2017Centre d’art Bastille, Grenoble
Expositions personnelles
2017
- «Effet de seuil», centre d’art Bastille (CAB), Grenoble
- «Ma quête au pied du mur», BLAST, Angers
2016
- «Carte blanche, Edmond Édition», Artconnexion, Lille
2015
- «Thérain», École d’Art du Beauvaisis, Beauvais
- «The Pretend Is Near, avec Cat Fenwick», Galerie RDV, Nantes
2014
- «La Vie Silencieuse, avec Adrien Guigon», Institut Français du Cambodge, Phnom Penh
2013
- «Exposition des lauréats du Prix des Arts Visuels de la ville de Nantes»
2011
- «De vous à moi», Galerie Thébault, le Village, site d’expérimentation artistique, Bazouges-La-Pérouse
Expositions collectives
2017
- «Shelter», commissariat La Montagne, La Vallée, Bruxelles
- «La maison rose», commissariat collectif Open-it, Nantes
2016
- «Dans les Cartons», commissariat Samuel Aligand, Emergences, Biennale métiers d’art et de design, Ecole d’art plastique, Pantin
- «Le Petit Musée des Beaux Arts de Nantes», commissariat Régis Perray, l’Atelier, Nantes
- «Paysages en déclinaison», commissariat A. Guigon et G. Krick, Espace l’Escaut, Bruxelles
2015
- «Christmas Art Fair», Galerie du 5eme, Marseille
2014
- «Le Village à 20ans #3», Galerie Thébault, Le Village, site d’expérimentation artistique, Bazouges
2013
- «Sous un ciel variable », Polen, Nantes
2012
- «Supervues», Astérides, Hotel Burrhus, Vaison La Romaine
- «Table», Atelier Alain Lebras, Nantes
- «Pentzelen Zarata Mailu Isiltasuna», Mille Feuilles, Nantes
- «Art-O-Rama», Astérides, Marseille
- «Mémoires d’Eléphants», l’Atelier, Nantes
- «Le baiser du papillon», Galerie RDV, Château de Basse-Goulaine
2011
- «Que sera, sera», Atelier Alain Lebras, Nantes
- «1.2.3.», CEDEX, Galerie de l’UQAM, Montréal, Canada
- «The raft, biennale d’art contemporain», Beppu, Japon
- «Welcome on board», Hall 6/Alstom, Nantes
2010
- «Everything but the wall», Galerie de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Nantes
- «Oeuvres choisies», l’Atelier, Nantes
- «SiXiS», Heidigalerie, Nantes
- «Fait d’hivers», Atelier Alain Lebras, Nantes
Résidences
2017
- «Moly Sabata», Sablons
- «L’H du Siège», Valenciennes
2015
- «École d’art du Beauvaisis», Beauvais
2014
- «Institut Français du Cambodge», avec Adrien Guigon, Phnom Penh
2010
- «Atelier Alain Lebras, Nantes»
2009
- «Beppu Project», biennale d’art contemporain, Beppu, Japon
Bourses, prix, aides
2016
- Aide Individuelle à la Création, DRAC Pays de la Loire
2014
- Bourse, Résidence à Phnom Penh Institut Français/Ville de Nantes
2012
- Prix des arts visuels de la ville de Nantes
2009
- Bourse pour une résidence à Beppu, Japon, École supérieure des beaux-arts de Nantes Métropole
2008
- Bourse d’étude pour UQAM, Montréal, Canada, École supérieure des beaux-arts de Nantes Métropole
Publications, diffusions
2016
- «Wall piece», avec Cat Fenwick, lithographie produite par la galerie RDV, Nantes
2015
- «Thérain, Chloé Jarry, une résidence à l’École d’Art du Beauvaisis», catalogue, Communauté d’Agglomération du Beauvaisis
2012
- «Momofuku Ando», multiple en faïence et bois produit par Astérides, Marseille
- «Mémoires d’Eléphants», catalogue, Jean-Paul Sidolle, Nantes
Workshops, enseignement
2017
- Workshop, École Supérieure des Beaux-Arts de Nantes Métropole sur une invitation de Claire-Jeanne Jézéquel à propos de l’empreinte et du double
- Conférence, École Supèrieure d’Art et de Design de Grenoble
2016
- Workshop et conférence École d’Art de la Ville de Saint-Nazaire pour la classe préparatoire à l’entrée des écoles d’arts invitée par Carole Rivalin à propos de l’in situ
- Professeure céramique à l’École d’art de la Ville de Saint-Nazaire
2015
- Conférence pour l’École d’arts du Beauvaisis, Beauvais
- Workshop à LISAA, étudiants de mode à propos de design culinaire, Nantes
2014
- Workshop pour l’Université Royale des beaux-arts du Cambodge à propos de la nature morte et du moulage
- Professeure de volume et céramique à l’École d’art de la Roche-sur-Yon
- Conférence École nationale supérieure d’architecture de Nantes
2011-2014
- Start, interventions en milieu scolaire projet, à propos de la commande publique et du dispositif 1% soutenu par la région Pays de la Loire et le conseil général de Loire-Atlantique
Écoles, formations
2012-2013
- Intervention, atelier multi-public, Tripode, Rezé
2008
- Échange universitaire, Maîtrise d’Art Visuel et Médiatique à l’Université du Québec à Montréal, Canada
- DNAP, École Supérieure des Beaux-Arts de Nantes Métropole
2004
- École Nationale Supérieure des Beaux-arts de Bourges
Le village, Bazouges-La-Pérousse, mars 2011
Chloé Jarry, diplômée de l’école des beaux-arts de Nantes, développe un travail artistique autour de la problématique du quotidien. Elle s’efforce de révéler, en les dé-contextualisant, les objets que l’on côtoient quotidiennement et qui à force nous paraissent anodins (prises électriques, plinthes, ampoules, etc.).
C’est d’abord par le dessin et la photographie qu’elle appréhende ces objets familiers avant de les mouler pour en faire des céramiques. Lors du processus de création, elle ne cherche pas à contrôler la matière, elle laisse venir les distorsions physiques et naturelles pour en faire un objet unique. La présence récurrente du blanc dans son travail est dû à son approche poétique et romantique de cette couleur, qui à l’origine était associée à la pureté. Ce blanc, parfois complété de jaune pour symboliser le temps qui passe, signifie aussi pour l’artiste l’espace vierge de la galerie, lieu similaire à une page blanche prête à être « écrite ».
La scénographie peut déconcerter. En effet, les œuvres en céramique présentées se fondent dans l’espace d’exposition. Prises, plinthes, ampoule s’intègrent à l’architecture du lieu et participent telles des intrus à son fonctionnement. Au contraire, les éléments disposés à même le sol comme les abat-jours et la bouillotte ont une présence immédiate et perdent leurs utilités premières. Ce souhait de disposer ces sculptures au sol dénote de l’intérêt que l’artiste porte à la culture japonaise. En effet, contrairement aux peuples occidentaux, les orientaux consacrent au sol une plus grande importance (ils y dorment, y mangent … ).
En écho aux objets en céramique, quelques gravures ponctuent l’espace d’exposition. Les objets représentés flottent dans l’espace de la feuille. Ce travail poursuit la réflexion de l’artiste sur la place de l’objet dans notre quotidien.
David Chevrier
Collimateur excentré
Née en 1985 à Montmorency (95), Chloé Jarry vit et travaille à Nantes.
Diplômée en 2010 de l’École Supérieure des Beaux Arts de Nantes métropole, elle obtient en 2012 le prix des arts visuels de la Ville de Nantes et en 2016 l’Aide Individuelle à la Création de la DRAC Pays de la Loire. Au cours des études elle obtient deux bourses (2009 : Beppu -Japon-, 2008 : UQAM, Montréal -Canada).
Depuis, Chloé Jarry a réalisé des expositions personnelles notamment à Roubaix (2019 : La plus petite galerie du monde ou presque), Grenoble (2017 : Effet de seuil, centre d’art Bastille), et Angers (2017 : Ma quête au pied du mur, BLAST). Son travail est émaillé de plusieurs résidences : 2018, La menuiserie, Therdonne ; 2017, Moly Sabata, Sablons et L’H du Siège, Valenciennes ; 2015, École d’art du Beauvaisis, Beauvais ; 2014, Institut Français du Cambodge, avec Adrien Guigon, Phnom Penh.
Elle fait partie du Réseau d’artistes en Pays de la Loire.
Se lever, enserrer la poignée de porte, et ressentir un trouble : sa forme est quelque peu modifiée. Ce léger changement donne alors à cet objet de notre quotidien une nouvelle valeur, nous l’observons dans toute l’étrangeté de sa normalité et le considérons avec attention. Le travail de Chloé Jarry agit selon ces mêmes modalités. Elle sculpte, ou dessine, des éléments qui nous entourent en en modifiant la matière. Ses céramiques réinterprètent des objets manufacturés et rarement valorisés : amas d’ampoules, carrelages typiques des habitations bon marché des années 70, ferronneries, etc. Elle ne sculpte pas un catalogue archétypal de notre espace domestique ; elle donne au contraire une individualité à chacune de ses pièces, sérielles comme uniques. Ses installations s’apparentent à des souvenirs, à des répliques singulières et des reliques désacralisées.
Ce sentiment de bouleversement doux et implacable est rendu possible par l’engagement physique de l’artiste. Chloé Jarry renoue avec l’historique et étroite relation entre artistes et artisans, c’est en tant que technicienne aguerrie qu’elle agit. Cette technicité sou-tend une très forte proximité de l’artiste avec la matière de ses oeuvres. Elle modèle chacune de ses productions à la main, même dans le cas d’effet de seuil (2017), pièce composée de 1436 tomettes en grès mêlés. Certaines créations conservent littéralement son empreinte (M’amarrer, 2017). L’investissement physique de Chloé Jarry se retrouve également dans le format de ses aquarelles, celles-ci pouvant dépasser les deux mètres. Cette tâche minutieuse et monumentale confère à ces dessins un aspect architectural : les initiaux motifs de carrelage deviennent lés de tapisserie (Antiparéidolie, 2017). Tout le corps de l’artiste s’implique dans sa création ; pour appréhender l’humidité d’une terre cuite, Chloé Jarry approche ses lèvres, surface cutanée beaucoup plus sensible que le bout de nos doigts. Dans le cadre de son travail sur les motifs des azulejos, elle déambule dans les rues lisboètes, ses pieds guident son appareil photographique. Elle redessine ensuite ses prises de vue afin de réaliser sa sélection, le geste de sa main détermine l’oeuvre future.
Chloé Jarry ne se présente pas comme démiurge de son univers, au contraire elle travaille en collaboration avec terres et émaux laissant libre cours à leur plasticité intrinsèque. La barbe des radiateurs en biscuit de faïence est conservée (calorifère, 2016). L’accident fait aussi pleinement partie de son travail, avec humilité Chloé Jarry expérimente et répète une opération si nécessaire.
La relation de Chloé Jarry au quotidien -thème central de ses productions- ne correspond pas à une engourdissante monotonie, elle veille à renouveler sa perception et celle des publics. Ses expositions sont pensées en dialogue avec l’espace de monstration. Notre regard est amené à sans cesse se réajuster, nous faire baisser ou au contraire lever les yeux au plafond. Le collimateur est cet instrument d’optique permettant la réalisation de pointages précis. Plutôt que de se focaliser sur ce qui nous semble central, Chloé Jarry nous invite avec générosité à dévier notre point de vue, à considérer l’espace qui nous entoure avec une nouvelle délicatesse et découvrir, pourquoi pas, que la marge s’avère riche et féconde.
Léa Cotart-Blanco, 2019
Calorifère, Chloé Jarry
Ils sont tous les jours autour de nous. Sans cesse, nos yeux, nos coudes, nos pieds buttent sur eux,
sans que pour autant nous ne leur accordions d’attention. Si nous les voyons, c’est qu’ils
dysfonctionnent ou parce que nous sommes en quête du confort qu’ils procurent. Ces objets du
quotidiens – ici radiateurs, corbeilles ou patères, ailleurs interrupteurs ou gaines d’aération – sont au
coeur de la recherche artistique de Chloé Jarry. Ceux que l’on foule, emboîte, dissimule. Ceux que
nous ne trouvons beaux que lorsqu’ils parviennent à se faire oublier, à se fondre dans le décor.
Observation
Pour créer ses oeuvres, Chloé Jarry observe les lieux qui l’accueillent afin de s’en inspirer. Lors de
sa résidence à la Galerie 5 (20 jours répartis entre octobre 2023 et janvier 2024), elle a commencé
par s’imprégner de cet espace, alors en mutation. Elle a pris le temps d’en scruter les recoins, dont
elle a dessiné certaines formes et détails. Elle a observé ses habitant.es, aussi, venu.es travailler, se
regrouper, brancher leur téléphone, se réchauffer.
A partir des lieux et de leurs usages, l’artiste a ensuite composé sa propre partition, mettant en avant
ce qui lui paraissait singulier ou faisait écho à une idée pré-existante. Ainsi, tout nouveau contexte
amène un renouveau dans sa pratique artistique. Le monde est une bibliothèque de formes et chaque
exposition permet d’en mettre quelques unes en valeur.
Ambivalence
Les oeuvres de Chloé Jarry ne sont pas des ready-made, à la manière de Duchamp et de ses urinoirs
déplacés tels quels dans des musées ou galeries. Pour elle, les objets ne sont justement pas « prêts à
l’emploi ». Si ceux qu’elle choisit comme modèles sont fabriqués industriellement, les sculptures qui
en résultent sont bien façonnées à la main. L’artiste joue avec les défauts ou les accidents, autant de
traces de fabrication qui rappellent son geste de production. Parfois, ses mains laissent à dessein une
empreinte, qui devient signe d’accroche, de prise physique ou mentale.
En moulant les objets et en les reproduisant en terre, elle les rend impropres à l’utilisation:
radiateurs sans chaleur, patères sans tenue, fiches fantômes déformées… Disposant ses oeuvres à
même le sol ou les murs, Chloé Jarry joue sur le trouble provoqué: où commence l’exposition? Que
regarder? Cependant, l’ambivalence que l’artiste affectionne n’est pas tromperie. Le doute ressenti
au premier abord s’estompe rapidement. Toujours, la matière, les formes modifiées permettent de
distinguer les sculptures des vrais éléments de mobilier.
Décalage
A la Galerie 5, A l’ombre se démarque des autres pièces. Ces ombrelles de porcelaine colorées
n’appartiennent pas physiquement au quotidien de la BU, mais elle répondent à la grande baie vitrée
et au soleil qui la traverse. Elles renvoient également à notre imaginaire collectif, liées pour des
générations à des images de fêtes.
Dans cette exposition, le parcours n’est pas fléché. La fragilité, la présence discrète des oeuvres
réclament une précaution, une attitude particulière. En créant un double faussé de nos habitats,
Chloé Jarry décale nos habitudes et ramène l’attention sur ces objets qui ne sont pas faits pour être
contemplés, à peine balayés du regard. Ce faisant, elle propose un réveil joyeux dans la monotonie
des jours.
Calorifère, galerie 5, université d’Angers
Pascaline Vallée
« Les choses » de Chloé Jarry
« Il existe mille choses jugées insignifiantes qui, une fois offertes au regard, deviennent
dignes d’intérêt. » Une déclaration du peintre Tapiès que pourrait faire sienne Chloé
Jarry (1985) tant son travail donne du sens à « des petits bouts de rien ». Traversées par
le regard, ces traces du quotidien figées par la céramique ne sont plus anecdotiques,
révélées de cette façon par leur caractère insolite et leur beauté inexplorée.
C’est en 2008 lors d’un voyage d’étude à Montréal que Chloé Jarry découvre le travail de
la terre. « Son désir de faire » et « son intérêt pour le travail d’atelier » la conduisent
rapidement à s’intéresser aux techniques du moulage en plâtre et au coulage. « Ce qui me
fascine, c’est l’approche en deux temps, on neutralise la forme pendant le moulage pour
ensuite laisser la terre œuvrer elle-même qui au moment de sa rétractation, s’en libère.
Cela m’intéresse de ne pas tout contrôler et d’en accepter les accidents. »
Son diplôme en poche en 2010, la nantaise arpente des territoires rêvés comme le Japon
en 2009 et le Cambodge en 2014 où en résidence, elle y développe sa pratique et son
sens de l’observation. « Ailleurs, je suis plus attentive ». En effet, Chloé Jarry scrute les
moindres recoins des environnements dans lesquels elle est invitée. Elle les occupe pour
en saisir les détails d’architecture et les objets qui les composent comme les prises
électriques, ampoules, tuyauteries, carrelages, etc., des éléments souvent invisibles à nos
yeux.
Du Japon, elle explique avoir appris à faire attention au sol et à l’importance du corps
dans l’habitation. Tandis qu’à Phnom Penh, elle se rapproche de Socheathy Ouk,
céramiste et professeur à l’université des Beaux-Arts de la ville, et manifeste sa curiosité
pour le savoir-faire cambodgien et sa dimension artisanale. « De l’extraction de la terre à
la cuisson, en passant par la confection d’un émail, je me suis impliquée dans toutes les
étapes de la production céramique. » Par cette pratique vernaculaire enrichie également
de l’expérience des potiers du village de Kampong Chhnang, elle reproduit des balles en
osier utilisées dans le cadre scolaire ou pour des jeux de ballons. Chloé Jarry ne déroge
pas à sa quête de souligner la poésie et la beauté de ces objets en leur supprimant toute
utilité. Produites en série, les sculptures sont intitulées S’amuser à jouer qui traduit en
khmer, veut dire Où vas-tu ? Que fais-tu ?
L’insignifiance du quotidien
Son amour des objets, l’artiste le tient de l’univers de sa grand-mère brocanteuse.
Depuis, elle les accumule, les contemple et puise son inspiration dans leur forme. Elle
élabore son répertoire formel à partir de « ses récoltes » faites au fil de ses projets et de
ses voyages. L’objet ne dit rien par lui-même. Elle le prélève de sa réalité pour le
reproduire en céramique lui ôtant toute fonction première. « Chaque faïence est
différente, ainsi cette forme échappe au circuit de la production sérielle industrielle. J’y
laisse la trace de ma fabrication, je conserve la barbe due au processus du moulage. » De la
brique aux azulejos, Chloé Jarry décline avec intérêt la question du motif donnant à voir
des morceaux de sols ou de brique reconstitués.
L’envers du décor
Ses expositions suscitent des faces à faces entre ses œuvres et le lieu qui les accueille.
« Je sollicite des situations où l’espace de l’art se rencontre avec la vie.» Une approche
contextuelle qui en interroge les spécificités souvent inhabituelles. Son immersion in situ
débute par une première phase de recherches qui consiste par une prise de notes
photographiques et dessinées. « Mes sculptures ne changent en rien ses fonctions, elles le
marquent simplement. J’exploite le hors champ qu’elles suggèrent. » Aussi, le visiteur doit-
il être particulièrement attentif à leur présence parfois discrète. À l’instar de son
incroyable installation de canalisations qu’elle conçoit dans la crypte de l’auditorium
Rostropovitch à Beauvais. En résidence en 2015 à l’école d’art, reconnue pour sa
spécialité en céramique, Chloé Jarry est frappée par l’humidité du lieu et les bruits
d’écoulement. « Je copie des objets sans pour autant rechercher une ressemblance parfaite.
Comme mes œuvres sont fabriquées à la main, je joue avec les approximations formelles et
les défauts. » À partir de modèles de gouttières en PVC, elle reconstitue un circuit de
tuyaux obtenus par des moules d’estampage. Éponges, torchons étendus jalonnent le
parcours comme pour absorber la moiteur atmosphérique. Une fiction du lieu s’inscrit
en filigrane par la présence précaire de ces objets distendus, ou d’autres au caractère
désuet comme la tapette de tapis en grès noir. En 2017, c’est au centre Bastille à
Grenoble que la sculptrice parsème des éléments architecturaux tels les anneaux
d’attache, chaînes, ampoules ou motifs de grilles, sortes de réminiscence de son passé
d’ancien fort militaire.
Revue de la Céramique et du Verre 225 – Nouveau talent
Christine Blanchet
Chloé Jarry / Fracture
Il faut sans doute un peu plus d’imagination pour se représenter un appartement dont la partition
serait fondée sur des fonctions sensorielles : on conçoit assez bien ce que pourrait être un
gustatorium ou un auditoir, mais on peut se demander à quoi ressembleraient un visoir, un humoir, ou
un palpoir…
Georges Pérec – Espèces d’espaces (1974)
Prenons le temps, pour observer une pièce dans notre maison, notre appartement ou notre
espace de travail. Un temps de réelle attention aux détails présents sur le sol, dans les murs,
les objets, les coins, les recoins, les ajouts, les accidents, les modifications. Un temps pour
détecter tout ce qui échappe à notre œil au quotidien, ce qui est habituellement invisible.
Chloé Jarry travaille à partir d’un lieu : un atelier, une résidence, un espace d’exposition.
Dans son ouvrage La Découverte du Quotidien, Bruce Bégout écrit : « Le quotidien se
recouvre par sa sur-présence quotidienne et personne ne se rend compte de l’existence de
ce recouvrement ni s’en soucie » Elle prend le temps pour déceler des formes, des
matériaux, des couleurs, des motifs, des objets. L’observation commence par un travail de
dessin et de prises de vues photographiques. Tout ce que le lieu cache est véritablement
passé au crible de ses yeux et de ses mains. Ses découvertes sont ensuite travaillées dans
la terre pour « créer une petite fracture avec le quotidien ». 1 L’artiste opère ainsi à des
traductions matérielles où le bois, le métal, le plastique, le verre ou le carton font place à la
terre cuite émaillée. Qu’il soit intérieur ou extérieur, Georges Pérec parle du vide et du
mutisme de l’espace qui nous entoure. Chloé Jarry génère une apparition, un réveil des
détails aveugles et muets. Elle recherche les acteurs discrets d’un lieu, la part intime et
imperceptible de son existence fonctionnelle.
Elle se concentre particulièrement sur les éléments industriels greffés à la structure même
du lieu : un interrupteur, une prise électrique, une plinthe, un robinet, une crémone, une
poignée ou encore une lanterne en papier de riz. Les traductions en terre cuite des objets
instaurent une légère dissonance avec les formes originales : dimensions, matérialités et
couleurs. « Je laisse travailler la terre, il y a toujours des décalages (plan de joint ou torsion
due au séchage). Ce décalage est très important pour moi car il nous met à côté de notre
quotidien. » De même, dans une pièce en chantier, la surface des murs est ponctuellement
marquée de pansements de plâtre ou de chevilles plantées. Les petites plaques de plâtres et
les éléments en plastique sont moulés pour ressurgir en faïence. Si l’artiste manipule les
objets et les motifs fonctionnels et impersonnels, elle s’empare également d’éléments plus
intimes, liés aux gestes du quotidien : une paire de chaussons en coton, des chewing-gums
collés sous une table en verre (une œuvre réalisée en collaboration avec Adrien Guigon), un
amas de pop corn, des nouilles précuites, une bouteille en plastique posée sur la table de
nuit, un rouleau de papier toilette vide ou encore du linge étendu sur un fil. Les objets
reproduits dans la terre sont déplacés ou multipliés, créant ainsi des effets de préciosité, de
dissonance et d’étrangeté. Ce qui est familier nous déconcerte et nous amène à penser
autrement les formes et les fonctions des objets devenus invalides.
Le voyage et la rencontre avec de nouveaux lieux, de nouvelles cultures, amènent des
modulations dans sa pratique et dans sa manière d’appréhender le quotidien. D’autres
traductions s’opèrent. Par exemple, lors d’une résidence au Cambodge, Chloé Jarry
rencontre des carreaux de ciments anciens sur lesquels sont peints des motifs floraux. Elle
décide de les travailler et de les transposer à l’aquarelle sur des feuilles de papier (Ciment
Songe – 2014). Ici, la terre se fait eau et papier. La solidité est convertie en fragilité. Les
motifs sont reproduits, ils diffèrent légèrement d’une feuille à une autre, produisant ainsi des
irrégularités et des variations. La dimension artisanale (« fait main ») est soulignée. À
Nantes, le sol de l’atelier Alain Lebras est recouvert de vinyle imitant un parquet en bois clair.
Un faux parquet que l’artiste vient démasquer en incrustant des tréteaux sous les laies de
vinyles (Se calquer contre – 2012). Suspendues dans l’air, elles amorcent un paysage
surréaliste. Toujours à Nantes, l’artiste extrait un fragment circulaire de sol antidérapant. Ici,
la surface métallique est moulée dans la terre (Mes larmes ne tombent pas rondes – 2013).
En découvrant l’espace de travail et d’exposition à Beauvais, Chloé Jarry décide d’amplifier
l’échelle de son travail. Elle s’attache à reproduire des éléments intégrés à l’architecture de
l’école : tuyaux, raccords de canalisations et gouttières. L’espace d’exposition est
véritablement envisagé comme un lieu à habiter, où les œuvres viennent « épouser
l’architecture sans la blesser. »
Chloé Jarry débusque les aspérités inhérentes à l’architecture et à l’espace auxquels elle
apporte des transformations anti-spectaculaires, discrètes et raffinées. Soucieuse de tout ce
qui l’entoure, l’artiste prend l’espace à bras-le-corps. Elle réalise des empreintes, des
moulages, des traces du lieu. Un travail corporel qui souligne la dimension physique de ses
œuvres : manipulation, pétrissage, modelage, moulage. Les rapports que nous entretenons
aux objets intimes ou avec les objets insignifiants (enfouis dans nos quotidiens) sont
bouleversés. « L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner ; il n’est
jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête. » 2 L’artiste se joue
de la sérialité et du caractère reproductible des objets, en ce sens elle invite à une relecture
des lieux communs aux creux desquels l’étonnement et la révélation sont en sommeil.
Thérain, Chloé Jarry 2015, Ecole d’art du beauvaisis
Julie Crenn
1 Sauf mention contraire, les citations sont extraites d’une conversation menée avec l’artiste, mai 2015.
2 Georges Pérec. Espèces d’espaces. Paris : Galilée, 1974, p.179.
