Artistes
Laura Bottereau & Marine Fiquet : live and work in Nantes.
Solo exhibitions
2023
- «Be my ghost», Atelier 8, Bonus, Nantes
2021
- «Le grand guili qui pleure», 2angles, Flers
2019
- «Au sol, ça sentait la mauvaise haleine», Galerie HUS, ESADHaR, Rouen
2018
- «J’ai léché l’entour de vos yeux», Maison des arts, Centre d’art contemporain de Malakoff
- «L’aube des rigueurs molles», Commissariat MPVite, Les Limbes, Saint-Etienne
2016
- «Le roi du silence», La Gâterie, La Roche-sur-Yon
2015
- «Terrains vagues», Galerie 5, Angers
2014
- «L’ennui des jeunes corps», Sous invitation de la Cie Nathalie Béasse, cabine du pad, Angers
Group exhibitions
2024
- «Sur tes lèvres», Double exposition - invitation à exposer sur les sites du Frac des Pays de la Loire, site de Nantes et du Lieu Unique, Nantes
2023
- «My name is Luka», une proposition de Julie Crenn, Centre d'Art Les Sheds, Pantin
- «Nuit blanche Mayenne», Centre d’Art Contemporain - Le Kiosque, Mayenne
- «Des soleils Mouillés - Exposition des lauréates du Prix des arts visuels de la ville de Nantes - 20e édition», commissariat Septembre Tiberghien, L'Atelier, Nantes
- «Histoires vraies», commissariat Frank Lamy, MAC VAL, Musée d’Art Contemporain du Val-de-Marne, Vitry-sur-Seine
2022
- «Préquelles - Prix des arts visuels de la ville de Nantes», Bonus - Atelier 8
- «Rendez-vous à Saint-Briac, Salon du dessin contemporain et de l’édition d’artiste», Invitation Evelyne Deret, Saint-Briac
- «Archives #6», Paradise, Centre d’art contemporain, Nantes
2021
- «HERstory, une proposition de Julie Crenn et Pascal Lièvre», The PLAYER, FRAC Poitou-Charentes
- «Cueillir des étoiles, , nouvelles acquisitions de la collection artdeliver», , Beaux-Arts de Nantes Saint-Nazaire, Nantes
2020
- «Balak #11», commissariat Mehryl Levisse, texte critique Élisabeth Lebovici, 10 octobre, à l’occasion de Nuit Blanche Charleville-Mézières
- «salon DDESSIN{20}, sous invitation d’ Art [ ] Collector,», Atelier Richelieu, Paris
2019
- «Where’s my body gone. On landscape. », Sous invitation de Meyer Zevil Art Projects, commissariat Nicolas de Ribou, Salon Galeristes, Carreau du Temple, Paris
- «Some of us», Dans le cadre de la Nordart 2019, commissariat Jérôme Cotinet-Alphaize et Marianne Derrien, Kunstwerk Carlshütte, Büdelsdorf (Allemagne)
- «Décoloniser les corps #2», Commissariat Pascal Lièvre, Eternal Gallery, Tours
2018
- «2e biennale art nomad - décoloniser les corps», Commissariat Pascal Lièvre, Arnac-la-poste / Bourges / Paris / Calais / Bruxelles / Berlin
- «Angle mort», Commissariat Cora Djedoui & Nicolas Gimbert, Ici.gallery, Paris
- «Hors-piste», Commissariat LaMontagne et Maison vide, LaVallée, Molenbeek-Saint- Jean (Belgique)
- «Traversées ren@rde - 40e anniversaire du centre Pompidou», Commissariat Julie Crenn, Erik Noulette, Nadège Piton et Damien Sausset, Transpalette - Centre d’art contemporain, Bourges
2017
- «HERstory - des archives à l’heure des postféminismes», Commissariat Julie Crenn et Pascal Lièvre, dans le cadre de la Movimenta, Librairie Vigna, Nice
- «Festival jardins synthétiques», Commissariat Pierric Blum, Musée des Augustins, Toulouse
- «Recouvrées», Ancienne synagogue de Forbach
- «HERstory - des archives à l’heure des postféminismes», Commissariat Julie Crenn et Pascal Lièvre, Maison des arts - Centre d’art contemporain de Malakoff
2016
- «Enfants», Centre d’art contemporain de Pontmain
- «Stonehenge», Galerie RDV, Nantes
- «11e biennale de la jeune création de houilles», La Graineterie, Houilles
- «Rendez-vous au sommet», Millefeuilles, Nantes
- «La petite collection», Salon DDessin, Paris
- «Dogs from hell,», Commissariat Julie Crenn, Galerie Patricia Dorfmann, Paris
- «Tire ma bobinette», Duo show avec Aurélie Ferruel et Florentine Guedon, Abbaye de St-Florent-le-Vieil
2015
- «Contexte(s)», Musée des Beaux-Arts d’Angers
- «Leave the kids alone», Commissariat Julie Crenn, Galerie des Franciscains, Saint-Nazaire
- «Nuée», Grand Théâtre, Angers
2014
- «La réalité presque évanouie», Commissariat Léa Bismut, Abbaye du Ronceray, Angers
- «Tout semblait immobile», Sous invitation de la Cie Nathalie Béasse, Forum du Quai, Angers
2013
- «Locus solus / hocus pocus», Musée Joseph-Denais, Beaufort-en-vallée
Residencies
2021
- «résidence de recherche et de création», Archives Gaies du Québec, Montréal, Coopération France-Québec,
- «résidence de création», 2angles, Flers
2018
- «résidence de recherche et de production», Maison des arts, Centre d’art contemporain de Malakoff (5 mois)
2017
- «papier», Castel coucou, Ancienne synagogue de Forbach (1 mois)
2015
- «terrains vagues», Sous invitation de la CieNathalie Béasse, cabine du pad, Angers (2 mois)
2014
- «l’ennui des jeunes corps», Sous invitation de la Cie Nathalie Béasse, cabine du pad, Angers (3 semaines)
Grants, awards
2024
- Dotation Recherche Adagp – printemps 2024
2023 - 2024
- Soutien à un projet artistique du Centre national des arts plastiques pour le projet « Là où je vais, c’est seulement pour t’écrire »
2022
- Lauréates du Prix des arts visuels de la ville de Nantes
- Aide au projet de création arts visuels, Région Pays de la Loire
- Aide à la création en arts plastiques, Département Loire Atlantique
2019
- Aide individuelle à la création, DRAC Pays de la Loire avec le soutien du Ministère de la Culture
2021
- Aide individuelle à la création, DRAC Pays de la Loire avec le soutien du Ministère de la Culture
Publications, broadcasts
2024
- «Catalogue – Some of us : une anthologie des artistes contemporaine · x · s au XXIème siècle en France, publication soutenue par Eternal Network», , direction éditoriale Jérôme Cotinet-Alphaize, Marianne Derrien & Adrien Elie, Manuella Éditions
- «Acumen Magazine n°44, Le pays des merveilles de Bottereau & Fiquet,», Texte d’Ana Bordenave
2023
- «catalogue d’exposition - Histoires vraies», texte Sarah Ihler-Meyer et Frank Lamy, Éditions du MACVAL, Musée d’Art Contemporain du Val-de-Marne.
2021
- «Laura Bottereau & Marine Fiquet, portrait», vidéo 2angles
2020
- «Editions et presses universitaires de Reims,« Claude Cahun entre art et philosophie »», sous la direction de Véronique Le Ru et Fabrice Bourlez, « PAIR·E·S », texte de Laura Bottereau & Marine Fiquet
2019
- «Revue possible n°3 », « Abcéder avec », entretien avec Fanny Lambert
2018
- «Art press #461», « expositions reviews », texte de Julie Crenn
- «Blog médiapart - un certain regard sur la culture», « À Malakoff, ‘‘L’enfance découvre le goût salé des larmes’’ », texte de Guillaume Lasserre
- «Revue point contemporain», « Le règne de l’enfant-coi », entretien avec Léa Cotart-Blanco
2017
- «Catalogue de l’exposition le roi du silence», Coproduction la Gâterie
- «Revue laura #22», «Théâtre exquis », entretien avec Julie Crenn
- «Le chassis // Talents», Texte de Justine Sevêtre
- «Revue terrain vague #3», « Jeux interdits », texte de Florian Gaité
2016
- «Catalogue de la 11e biennale de la jeune création de Houilles», Texte de Julie Crenn
2015
- «Revue faros # 1», ,Publication de la série « Les héritiers d’Hamelin »
Public and private collections
2021
- acquisition du Frac Pays de la Loire - "L'ennui des jeunes corps" 2014-2018
2020
- Art Delivery - artothèque de Nantes - " L'oeil du bas", " Retour de bâton"
Workshops, teaching
2023
- Journée d’étude Québec-Acadie sur les archives LGBTQIA2+, co-organisée par Alex Noël et Isabelle Leblanc, CRILCQ, Université de Montréal, GRAFA, Université de Moncton (CA)
2019
- Journée d’études: "Claude Cahun et son héritage dans la pensée et la création contemporaine" , co-organisée par l’ESAD et le département de philosophie de l’Université Reims Champagne-Ardenne, Reims
- Interventions en milieu scolaire, invitation du FRAC Pays de la Loire, Lycée Julien Gracq, Beaupréau-en-Mauges
- Interventions en milieu scolaire, invitation du FRAC Pays de la Loire, Lycée Grand Air, La Baule
2018
- Rencontre publique à trois voix avec Frank Lamy, chargé des expositions temporaires du MAC VAL autour de l’exposition « J’ai léché l’entour de vos yeux», Maison des arts, centre d’art contemporain de Malakoff
2017
- Intervention en bibliothèque, invitation du FRAC Pays de la Loire, Allones
2015
- Atelier «pratique du dessin», Musée des Beaux-Arts d’Angers
Education, training
2013
- DNAP Art-Médias, mention du jury, ESBA-TALM site d’Angers
2010
- LICENCE de Lettres Modernes, Université d’Angers
2014
- Marine Fiquet>> DNSEP Art-Médias, félicitations du jury, ESBA-TALM site d’Angers
2012
- DNAP Art-Médias, félicitations du jury, ESBA-TALM site d’Angers
Texte du catalogue de l’exposition «Histoires vraies», MAC VAL
Laura Bottereau & Marine Fiquet agencent des scènes mentales aussi séduisantes que répulsives. Leurs protagonistes sont des pulsions ambivalentes, tendres et cruelles, prenant la forme de corps hétérogènes et fragmentés, aux proportions dissonantes et appareillés de dentiers, de masques et de perruques. À travers des dessins, des installations et des photographies, ces personnages aux membres disjoints se livrent à des scénarios où la douceur se conjugue au morbide, la violence à la sexualité, l’amusement aux sévices.
Le duo s’est ainsi fait connaître en représentant une vie libidinale ambiguë, au sadisme et au masochisme à la fois désinhibés et voilés de ludisme. Corde à sauter, partie de dames, cheval bâton, fléchettes, manège, cabane, ensevelissement sous le sable : autant de distractions enfantines, a priori chastes et inoffensives, transformées en dispositifs de tortures et de délices. Des jeux à tendance perverse dont les personnages sont des mannequins composés d’agrégats de prothèses – mains, nez, langues en silicone, en résine, en cire ou en plâtre –, comme si chacune de leurs parties était l’objet d’une fétichisation et d’une activité sexuelle autonome. Ce qui s’affirme ici est une plasticité libidinale, sinon une « perversion polymorphe », à même d’investir différents objets au fil des rencontres avec les chaînes signifiantes et imaginaires socialement instituées.
Dernièrement, Bottereau & Fiquet s’est quelque peu détourné des montages de nature sexuelle pour s’attacher à des complexions physico-psychiques plus amples, comprises comme manières de lier entre elles des images, des idées et des affections. C’est le cas de Soliloques, soit quarante boîtes en carton conçues comme des portraits d’ami.es fictifs.ves. Chacune de ces boîtes porte une étiquette indiquant le prénom de l’ami.e en question – Pulpe, Clapotis, Grateful… – et rejoue les codes de l’archive : des objets, des vêtements et des fragments de corps synthétiques y sont rangés, pliés, dérangés ou avachis. Accompagnés d’un texte éponyme composant la trame d’un rôle, ces artefacts sont les indices de subjectivités mutantes offertes à nos propres projections mentales.
La série de photographies nommée Transi.e.s participe d’une logique similaire. Des mannequins d’entraînement aux premiers secours et des torses clastiques (issus du Musée de l’écorché d’anatomie du Neubourg, en Normandie) sont agencés de sorte à évoquer des étreintes. Empruntant aux caractéristiques de l’enfant et de l’adulte, aux codes du gisant autant que du vivant, ces fragments de corps font coexister des états à la fois passés et présents au sein d’un même individu – habité par différentes configurations physiques et psychiques, traversées au fil des âges, tels des spectres ou des mues susceptibles de reprendre vie.
Sarah Ihler-Meyer
2023
Texte pour l’exposition «Histoires vraies», MAC VAL
Laura Bottereau & Marine Fiquet est une entité artistique duelle. Chez elle, l’enfance se pose comme lieu idéal pour mettre au jour les rapports de force dans les constructions des normes de genre, entre autres, et proposer des scenarii alternatifs aux accents «surréalisants».
Fragmenté, prothétique, Cyborg, hybride le corps est ici envisagé dans ses interdépendances, ses connexions, ses énergies ludiques et libidinales, ses relations avec les autres êtres vivants, imaginaires ou non.
Notice de l’exposition Histoires vraies, MAC VAL
Exposition collective, 4 février – 17 septembre 2023
Frank Lamy
2023
Revue terrain vague #3, «Jeux interdits»
Le duo Laura Bottereau & Marine Fiquet dessine un univers aussi séduisant que répulsif, associant de manière dérangeante, mais assumée, jeux infantiles et marqueurs libidinaux. Déconstruction plastique de l’enfance, cette oeuvre affiche néanmoins une retenue, voire une pudeur, paradoxale qui donne à leur propos la tonalité d’une douce insolence. Leur prolifique fantasmagorie saisit ainsi l’extraordinaire plasticité de l’enfance, cette « période critique » pour reprendre un terme de neurosciences, qu’elles envisagent comme un état transitoire, explosif, et souvent mal compris. Aussi les plasticiennes assument-elles la position d’un réalisme d’ordre psychanalytique ; elles désubliment la vision de l’enfance pour la restituer dans ce qu’elle a de moins glorieux, de la tendance au sadisme à l’expression de ses pulsions égoïstes.
Tout autant graphique que dramaturgique, leur oeuvre se situe entre un dessin théâtralisé et des mises en scène illustrées. La collusion entre une apparence immédiatement lisible et des réseaux de sens cachés plus complexes crée des effets de rupture qui en multiplient les interprétations. Leurs protagonistes relèvent d’une même esthétique de l’ambiguïté. Le plus souvent nus comme neutralisés, ces personnages anthropomorphes empruntent leurs caractéristiques conjointement à l’adulte et à l’enfant. Monstres humanoïdes, au genre et à l’identité troublés, ils font coïncider plasticité libidinale, psychique et corporelle sur la scène de leurs propres métamorphoses.
La série de dessins S’Horrifier de l’Orifice s’inspire directement des Guérillères de Monique Wittig, un essai-fiction qui décrit la vie en communauté d’une société exclusivement féminine, réinterprétation contemporaine du mythe des Amazones. Laura Bottereau & Marine Fiquet se réfèrent plus spécifiquement à un passage durant lequel Wittig décrit un rapport ludique à la vulve, un geste d’auto-affectation qui désinhibe autant le plaisir qu’il débride l’imagination : « Elle se laisse tomber par terre alors en demandant qu’on la distraie. On lui raconte avec beaucoup de détails l’histoire de celle qui, parlant de sa vulve, a coutume de dire que grâce à cette boussole elle peut naviguer du levant au couchant. » Á première vue, le dessin illustre une communauté de jouissance, prenant place dans une utopie féministe. Les corps de plusieurs jeunes femmes sont entrelacés les uns aux autres, formant un cosmos saphique. Il peut également être lu comme une métaphore de l’auto-érotisme et de ses multiples actualisations, une illustration de l’érogénéité du corps propre comme étape nécessaire de la construction identitaire.
Associant le sexe à l’effroi, son titre, S’Horrifier de l’Orifice, inscrit le propos dans une interprétation bataillienne en même temps qu’il fonctionne sur le modèle du jeu de mots lacanien. L’allitération en « or » évoque ainsi le métal précieux — associant l’imaginaire alchimiste au motif d’une métamorphose — autant que l’« oral », le lieu buccal à la fois sexuel et langagier. La composition du dessin accorde enfin une place particulière à un motif prépondérant de la pensée de Witttig, le trou originel : « Elles disent que de son chant on n’entend qu’un O continu. C’est ce qui fait que ce chant évoque pour elles, comme tout ce qui rappelle le O, le zéro ou le cercle, l’anneau vulvaire. » Suggéré à travers l’image de la planète ronde, comme un monde en soi, une sphère aux infinies circularités, le sexe féminin est rendu à sa béance infinie, prenant ironiquement la forme de l’ouroboros, du serpent qui se mord la queue.
L’installation Martyr(e)s met en scène trois personnages à taille d’enfant : deux figurent des bourreaux (les visages couverts, ils sont en situation de domination), le troisième la victime (la veste ouverte, il accueille les blessures), transpercé de flèches à la manière d’un saint Sébastien. La scène joue sur l’ambiguïté entre une cour de récréation, un tribunal improvisé et une partie de chasse, et exprime la violence désinhibée de l’enfance, ici les mécanismes de bouc-émissaire, jusqu’au lynchage collectif, par lequel un groupe s’autorégule et assure sa cohésion. Cette image d’un processus proto-social rappelle par la même occasion ce travail à l’histoire du théâtre, dont les premières formes helléniques émergeaient d’un rituel sacrificiel. Le titre est porteur d’une ambiguïté qui dédouble l’expérience de lecture que l’on peut en faire. Le « e » entre parenthèses sert en effet de point de bascule entre deux perspectives opposées : le regardeur peut se placer du côté du martyr (sans « e »), il est alors face à une victime pour laquelle il peut nourrir empathie ou compassion, ou considérer le martyre (avec un « e »), la scène en entier, d’une façon plus détachée, d’un œil observateur qui en appelle à une pulsion scopique (à notre tendance à se satisfaire d’images effroyables, de cadavres, d’accidents etc.).
La référence au martyr assume une position iconoclaste quant à la tradition hagiographique. Il s’agit en premier lieu de poser la cruauté originelle de l’homme en regard de celle de certains épisodes du récit biblique, et d’en souligner les paradoxes. La souffrance endurée au nom de la foi apparaît ici comme salvatrice et glorieuse, quand elle semble pudiquement condamnée dans les cours de récréation et les espaces publics. La violence n’est ni feinte, ni dissimulée, elle est la valeur de transfert par laquelle opposer pulsions infantiles et sublimation chrétienne. Martyr(e)s rappelle ainsi à la cruauté des épisodes bibliques et à son absurde autojustification : l’agonie des saints leur assurant la reconnaissance divine, à l’instar de saint Apolline, à qui l’on arracha les dents une à une, ou de sainte Dymphna, décapitée par son père qui voulait l’épouser. Le choix du saint Sébastien renvoie également à son statut d’icône homoérotique. Conformément à sa signification chez des écrivains plus ou moins subversifs (Tennessee Williams, Garcia Lorca, Mishima, Wilde, Proust…), son évocation contribue ici à réhabiliter la figure de l’homosexuel dans l’histoire des imaginaires collectifs.
Deutéronome 22:5 est un dessin unique qui représente deux filles, un garçon, même si on ne peut être sûrs de ces assignations de genre. Chacun s’amuse à se déguiser en l’autre sexe : maquillage pour le garçon, blouson et jean pour la jeune fille, chaussures d’adultes pour la dernière. On pourrait s’en tenir au dessin d’une scène domestique, celle d’enfants s’amusant à se travestir, un jeu commun dont on retrouve plus tard les traces dans les carnavals, le marivaudage, le travestissement de cabaret ou la performance queer. Néanmoins, l’indication du titre (la référence à un passage de l’Ancien Testament) annonce clairement une intention iconoclaste. Laura Bottereau & Marine Fiquet tournent en dérision l’interdit biblique en soulignant le décalage entre jeux d’enfants et la sévérité du jugement religieux : « 22:5 – Une femme ne portera point un habillement d’homme, et un homme ne mettra point des vêtements de femme ; car quiconque fait ces choses est en abomination à l’Éternel, ton Dieu. » Cette opération trouve d’ailleurs toute sa légitimité si l’on prend en compte d’autres interdits énoncés dans le Deutéronome à la légitimité douteuse, à l’image de la prescription absurde du livre 22:11 qui interdit le port de vêtement synthétique ou de la combinaison de deux textiles : « Tu ne porteras point un vêtement tissé de diverses espèces de fils, de laine et de lin réunis ensemble. »
Au-delà de l’herméneutique critique du corpus religieux, l’oeuvre rappelle le genre sexuel à son indifférenciation première durant l’enfance. La psychanalyse et, en creux, la biologie sont alors convoquées comme des paroles d’opposition au dogme chrétien, rationalisant un comportement considéré comme déviant. Ainsi les plasticiennes peuvent-elles se prévaloir des travaux de Léopold Szondi sur la question de l’androgynie ou de l’hermaphrodisme originel de la cellule vivante (« Tout homme a été cet être double dans la phase la plus ancienne de son ontogenèse, comme cellule sexuelle primaire (ovocyte ou spermatocyte) ») ou de ceux de Lacan qui démystifie avec la notion de « transvestisme » l’identification du garçon à la mère ou de la fille à la figure phallique qui lui manque. Le propos sur la construction du genre réinscrit ainsi la question dans le champ de la performativité et ramène une fois de plus l’oeuvre dessinée à sa dimension théâtrale. Réminiscence du travestissement des hommes dans le théâtre de l’Antiquité, cette scène de jeu enfantin réarticule les premières formes de théâtre à leurs conditions psychologiques, bien au-delà de la condamnation morale.
Mouvement perpétuel réunit deux personnages à taille d’enfant en un sens difformes car affublés de membres d’adultes. Moulés d’après les corps des artistes, les mains en plâtre et les masques de porcelaine font des mannequins des alter-egos de Laura Bottereau & Marine Fiquet, même si leur neutralité générale permet à chacun de s’y projeter. Les protagonistes sont reliés l’un à l‘autre par une corde, placée à l’endroit de leurs organes génitaux, que le spectateur peut activer à l’aide d’une manivelle. Au premier abord, on pourrait croire à une innocente partie de corde à sauter, à laquelle le spectateur pourrait nostalgiquement participer, si l’activation du mécanisme par le spectateur ne produisait pas, en second lieu, l’effet d’une charge sexuelle mêlée d’un sentiment de blesser ou de malmener les mannequins, par frottement ou friction de la corde contre la chair intime. L’association de la violence et du sexe plaide ici encore pour une mise en scène de la jouissance au sens lacanien : cette disposition affective où l’horreur se mêle au plaisir, allant selon la formule du psychanalyste de la chatouille à l’immolation.
Leur titre associe le mouvement perpétuel, le principe d’un mouvement cosmique éternel, à un motif libidinal, celui de la pénétration répétée, dans une dialectique aussi vaine que jubilatoire. Image désabusée de la mécanique procréatrice comme de la répétition d’un geste qui confine à la torture, Mouvement perpétuel joue de l’ambiguïté entre le viol, par définition non-consenti, et la scène sadomasochiste, le jeu volontairement blessant. Rappelant l’humain à la perversion polymorphe de son enfance, Laura Bottereau & Marine Fiquet en démystifient l’innocence supposée, et profitent de l’ambiguïté affective produite pour affirmer la nécessaire ambivalence de la pulsion infantile, la balance perpétuelle entre le plaisir de soi et la jouissance de l’autre.
Florian Gaité
2017
Acumen Magazine n°44, «Le pays des merveilles de Bottereau & Fiquet»
Alors qu’Alice tombe au plus profond d’elle-même au Pays des merveilles, la narration se fait métaphore des transformations physiques et psychiques de l’enfance. C’est à travers les images les plus fantasmagoriques que s’exprime toute la complexité du réel. C’est ainsi que peut se lire le travail de Laura Bottereau & Marine Fiquet, comme une longue plongée continuellement réinterrogée dans le monde du Lapin blanc, à la frontière entre appréhension et attirance, anxiété et plaisir scopique.
Bottereau & Fiquet est un duo d’artistes françaises travaillant à Nantes, en pleine émergence, dont les œuvres offrent un théâtre de l’étrange. Ainsi, les ex-voto à la cire blanche de l’œuvre Spleen Spring s’affichent avec leurs grandes dents ou leurs poils de moustache, et inspirent un sourire. Ce sont de petits morceaux de corps et de peaux découpés que présente l’œuvre, soigneusement accrochés comme un mur de trophées, mais à travers le rire, le public valide et s’associe à ces découpes morbides. Dans Les vieux démons, les jeux d’enfants se transforment en une parodie assumée où les visages sont des masques, les mains et les pieds des accessoires fétichistes, et où la figure centrale des jumelles impose le thème du simulacre. Morceaux de corps et morceaux d’actions se retrouvent constamment dans les installations, sculptures ou photographies des artistes, flirtant avec le grotesque. L’enfance – thématique principale des artistes – apparaît alors comme bloquée avant le stade du miroir, ou dans un état utopique, là où le corps n’est pas compris comme une unité indépendante et localisée, mais uniquement perçu à travers sa mise en relation avec les sujets et objets qui l’entourent.
Rien d’innocent cependant de la part des artistes, dont le discours conceptuel et référencé leur permet de s’inscrire dans une culture visuelle multiple, ménageant des ouvertures interprétatives fécondes. Dans leurs mises en scène, les références au fétiche et à l’ex-voto offrent aux objets une certaine magie, une puissance autre. Dans les photographies, une impression de nature morte détache l’évocation corporelle de sa réalité pour en faire un lieu de projection métaphorique. Dans certaines installations, la photographie conceptuelle ne semble pas bien loin, associant textes et images à la construction du récit individuel. Dans Soliloques, le dispositif rappelle ainsi celui de Sophie Calle, teinté d’un supplément de fantaisie.
Le duo présente les corps « comme archives politiques » : est-ce une manière d’évoquer la mémoire et l’inscription physique des événements psychologiques ? Mais sans doute existe-t-il autant d’interprétations qu’il existe de récits d’enfants.
Ana Bordenave
2024
Revue point contemporain, «Le règne de l’enfant-coi», entretien.
LE RÈGNE DE L’ENFANT-COI
Par le biais de dessins, de sculptures et d’installations, Laura Bottereau & Marine Fiquet amènent une réflexion autour de nos normes sociétales. L’enfance et l’onirisme, leurs principales thématiques, ne sont pas traitées comme un temps de latence angélique mais plutôt comme catalyseurs de nos codes. L’innocence de cet âge prétendument tendre renvoie alors à une spontanéité du geste, celui-ci devient imprévisible et bien souvent cruel. Ces figures enfantines ne s’embarrassent pas avec une prétendue bonne conduite : elles n’ont que faire de notre regard qui est pour autant constamment happé. Jouant subtilement avec le point de vue du public et l’impossibilité pour celui-ci d’interagir avec leurs représentations, ce duo d’artistes masque pour mieux montrer. En équilibre constant sur le fil du rasoir, leurs œuvres entraînent le public dans un rite d’initiation aux hypothèses ouvertes.
Le titre de votre exposition est tout aussi énigmatique que poétique, L’aube des rigueurs molles, d’où provient-il ?
Nous avions écrit un texte poétique à quatre mains au moment où nous réalisions Abcéder; un ensemble de dessins issus d’exercices de grammaire des années 1970. Ces exercices proposent des segments de phrases aux contenus relativement lugubres et peu réjouissants pour des enfants. Partant de ce principe, nous étions venues recréer un texte à la manière de ces exercices, l’idée était de rédiger un pastiche poétique de ces derniers. Nous n’avions finalement jamais utilisé ce texte pour l’ensemble Abcéder, mais il nous est resté en tête. L’aube des rigueurs molles en est un extrait. Nous l’avons choisi comme titre de l’exposition car il propose un jeu de lectures multiples que nous opérons souvent dans notre travail : les rigueurs rappellent l’exercice de grammaire avec l’exigence de l’apprentissage, les mollesses, qui en constituent l’antithèse, sont notamment présentes dans l’installation Douces indolences. L’aube évoque tant l’enfance – centrale dans notre travail – que le paysage, qui apparaît à travers le lever de soleil de l’installation Les tombeaux innocents.
Nous aimerions donner encore plus de place au texte dans notre travail, nous essayons actuellement de nouvelles formes pour l’intégrer. L’édition serait une possibilité.
Votre travail comporte toujours ce flou de l’autrice de chaque forme ou trait. Cette confusion semble être mêlée à la notion de jeu. Est-ce que ce fonctionnement est une corollaire à votre duo artistique ou a-t-il toujours été présent dans vos pratiques respectives ?
Le jeu est effectivement lié à notre pratique de duo, il intervient dans nos échanges et lorsque nous nous mettons d’accord sur un projet ; les jeux de duel et d’affrontement sont constants, plus particulièrement dans notre pratique du dessin. Toutefois, il n’était pas une thématique au sein de nos pratiques individuelles.
Nos premiers protocoles de dessins reposent sur des principes de jeux, mais surtout de règles, comme celles du cadavre exquis ou du jeu de dames. Ils permettent d’établir des principes d’actions à partir d’outils et d’acquérir ainsi une plus grande liberté. Nous trouvions paradoxalement davantage de possibilités dans la contrainte. Nous avons finalement mis du temps à dessiner ensemble sans avoir de protocole pré-établi.
Nous nous permettons de gommer le trait de l’une, de reprendre le dessin de l’autre jusqu’à parvenir à un accord. Bien sûr, chacune maîtrise des parties distinctes. Nous débutons toujours par une esquisse avant le trait final. En fin de compte, Laura aura peut-être réalisé un contour que j’avais initialement inscrit ou inversement. Nous ne sommes pas du tout dans la volonté de dissocier nos traits. Il en va de même pour la mise en volume.
Vous moulez vos propres mains et visages pour la réalisation de vos pièces, est-ce par praticité où existe-t-il une volonté d’identification entre vous et vos créations ?
Léa Cotart-Blanco
2018