Artistes

Pierre-Alexandre Remy : né en 1978 à Poitiers, vit à La Chapelle Basse-Mer, travaille à La Chapelle Basse-Mer.

Accès à :
les ballades du Rouge-Gorge

les ballades du Rouge-Gorge, 2023La Chapelle Basse-Mer

Estomobal

Estomobal, 2022Canal Satellite, Migennes

L’Ermite Céleste

L’Ermite Céleste, 2020Abbaye Royale de Fontevraud, cloître du restaurant de l'Abbaye, Fontevraud l'Abbaye

En marchant en dessinant

En marchant en dessinant, 2019Abbaye mauriste , Saint Florent le Vieil

La Croisée des promenades

La Croisée des promenades, 2019Musée de l'Abbaye Sainte Croix, Les Sables d'Olonne

Flottes à travers

Flottes à travers, 2018Hôtel Flottes de Sebasan, Pézenas

Cours à travers

Cours à travers, 2016Cours Cambronne, Nantes

Ulsan, portrait photographique

Ulsan, portrait photographique, 2016Parc de la rivière Taewha, Ulsan, Corée du Sud

88

88, 2015FRAC des PAys de la Loire

Echo au Chaos

Echo au Chaos, 2014Lieu-dit Saint Antoine, Lanrivain

En plein décintrement

En plein décintrement, 2014Chapelle des Calvairiennes, Centre d'art contemporain, Mayenne

Plandesplantesenpli

Plandesplantesenpli, 2014Jardin des Plantes, Angers

Les Balafrés

Les Balafrés, 2013Chapelle du Collège des Jésuites, Aumale

Drawing Now

Drawing Now, 2013Carrousel du Louvre, Galerie Isabelle Gounod

3 en Un la sculpture

3 en Un la sculpture, 2013Espace d'art contemporain Camille Lambert, Juvis

Cormor

Cormor, 2012Ile d'Aix

Cartographie assise

Cartographie assise, 2012 Centre d'Art 2angles, Flers

The Scape in Escape

The Scape in Escape, 2011Centre d'art Netwerk, Aalst (Belgique)

Scissure Signal

Scissure Signal, 2010Cité de la mode et du design, Paris

Expositions personnelles

2023

  • «Une ballade à Châteaugiron», Centre d'art Les 3CHA, Châteaugiron, invité par Clémentine Jullien, directrice artistique

2021

  • «Revenir», Le Phare Boréal, Les Sables d'Olonne, invité par Caroline Pottier

2020

  • «L'Ermite Céleste», Cloître du restaurant de l'Abbaye Royale de Fontevraud, en dialogue avec Thibaut Ruggeri, chef étoilé, invité par Emmanuel Morin , directeur artistique

2019

  • «La Croisée des Promenades», MASC, Les Sables d'Olonne, invité par Gaëlle Rageot, conservatrice du Musée
  • «En marchant, en dessinant», Abbaye Mauriste,Saint Florent le Vieil, programme "Prenez l'art", département du Maine et Loire

2018

  • «A tour de bras», Poteaux d'Angle, Bourges, invité par Alain Sadania

2016

  • «Chambre d'Echos», Galerie Isabelle Gounod, Paris

2015

  • «88», FRAC des Pays de la Loire, les Instantanés, invité par Laurence Gateau
  • «Une Torse», Centre d'art de Montrelais, invité par Claude Colas

2014

  • «Les Balafrés», Chapelle du Collège des Jésuites, Eu, invité par Thibault Le Forestier
  • «En plein décintrement», Centre d'art de la Chapelle des Calvairiennes, invité par Mathias Courter, directeur artistique

2011

  • «Cartographie assise», Centre d'art 2Angles, Jérôme Letinturier directeur artistique

2009

  • «Un Archipel», Les moment artistiques, Christian Aubert
  • «Seconde Main», Centre d'art L'H du Siège, Valenciennes, invité par Philippe Betrancourt et Pascal Pesez

2008

  • «Squid», La Friche de la Belle de Mai, invité par Astérides

2005

  • «De l'un à l'autre», Galerie du Haut-Pavé, Paris

Expositions collectives

2023

  • «Etangs d'Art », Saint Aubin du Cormier, invité par Philippe Le restif
  • «Tour de Table», Musée de la Faïence et de la Céramique, Malicorne sur Sarthe, Mathias Courtet commissaire

2022

  • «Tandem(s)», en duo avec Marine Class, Migennes, invité par CanalSatellite Art Contemporain

2019

  • «A vif la couleur», Parcours dans les collections du MASC, Gaëlle Rageaot commissaire
  • «Bienvenue Art Fair», en duo avec Olivier Michel, stand de la galerie Réjane Luoin, Paris

2018

  • «Assonances Résonnantes», en duo avec Oliver Michel, Galerie Réjane Louin, Locquirec
  • «Acte(s) en Touraine», Chateau de La Roche Racan, Anne LAure CHamboissier commissaire
  • «In-Situ, parcours art contemporain et patrimoine», Hôtel Flotteqs de Sebasan,Pézenas, Marie-Caroline Allaire-MAtte commissaire

2017

  • «Grand Air», Hippodrome de Verrie, Emmanuel Morin directeur artistique

2016

  • «Le Voyage à Nantes», Cour Cambronne, Nantes, Jean Blaise commissaire
  • «Taewha Eco Rivzer Art Festival», Ulsan, Corée du Sud, Sunhoan Hong commissaire
  • «FEW», Wattwiller, Sylvie Demeurville commissaire

2015

  • «Jardin de sculpture 2», Domaine de La Celle Saint Cloud, une invitation de Flag-France
  • «Traits Tirés», en duo avec Olivier Michel, Galerie Duchamp, Yvetot

2014

  • «FIAC Hors les Murs», Jardin des Plantes, Paris, galerie Isabelle Gounod
  • «Lieux Mouvants», Lanrivain, Jean Shalit commissaire
  • «Iles Urbaines», Jardin des Plantes, Angers
  • «Parcours d'art contemporain», Chamon sur Voueize, un projet de Jean Bonichon

2013

  • «Art, Ville et Paysages», lers Hortillonnages, Amiens
  • «Nuit Blanche», Mayenne, Mathias Courtet commissaire

2012

  • «3 en 1 La sculpture», Espace d'art contemporain Camille Lambert, Juvisy sur Orge, François Pourtaud commissaire

2011

  • «Paysage(s)», Domaine de Kerguéhennec, Olivier Delavallade commissaire
  • «The Scape In escape», centre d'art Netwerk, Aalst, paul Lagring commissaire

2010

  • «13 à Table », Fort Liédot, Ile d'Aix, un projet de L'atelier de La Saulaie

2008

  • «L'art dans les chapelles», Chapelle Saint Adrien, Olivier Delavallade commissaire
  • «L'eau et les rêves», Centre d'art Les Tanneries, Vincent Barré commissaire

Bourses, prix, aides

2022

  • Aide Individuelle à la création, DRAC Pays de la Loire

2023

  • Aide à l'aménagement d'atelier, Région des PAys de la Loire

2016

  • Aide à l'aménagement d'atelier, Région des Pays de la Loire

2015

  • Bourse d'aide à la création, région des Pays de la Loire

2011

  • Aide Individuelle à la création, DRAC Pays de la Loire

Collections publiques, acquisitions

2020

  • MASC, les Sables d'Olonne

2019

  • Commune de Saint Florent le Vieil

2022

  • Commune d'Amilly

2011

  • Domaine de Kerguéhennec

Écoles, formations

1997-2000

  • Ecole Nationale Supérieure des Arts Appliqués Olivier de Serres, Paris, DMA mise en forme du métal

2000-2004

  • Ecole Nationale Suépérieure des Beaux-Arts, Paris, DNSAP

Ma pratique interroge de façon récurrente, le rapport qu’entretient une intervention artistique, pour moi d’ordre sculpturale, avec l’espace dans lequel cette intervention prend place.
Je considère mes interventions comme le moyen de donner à voir d’une autre façon, par un déplacement de positionnement, des lieux qui pouvaient jusqu’alors paraitre familier au spectateur, ou indigne d’intérêt.

Dans une intime proximité, les sculptures et le lieu se nourrissent l’un de l’autre, chacun portant sur l’autre un regard subjectif, et l’éclairant de ce regard.
Collectant, classant, redistribuant les données qui en font son identité, et les prenant à leur compte, ces sculptures viennent interroger cette triple relation: espace, forme artistique et corps du spectateur.

La façon dont est construit un nouvel objet est aussi pour moi très importante.
Sa matière, ou plus souvent, ses matières qui se composent en lui même, parfois opposées dans leurs structures, constituent son dessin final.

C’est la notion de territoire, physique, historique, structurel, virtuel, de ce que cela impose comme comportement et pensée; de la dimension fantastique qui peut résulter; de ce qui est autre et inconnu, qui se joue dans mes réalisations.

Pierre-Alexandre Remy

L'Ermite Céleste

« C’est une sculpture de marche, une sculpture de paysage », me confie Pierre-Alexandre Remy
« C’est essentiellement du dessin ».
La sculpture paraît flotter au-dessus d’un tapis de sauges aux verts bleus profonds ; nous sommes dans le jardin du cloître, de dimension modeste, du restaurant de l’abbaye de Fontevraud. C’est dans ce jardin que Thibaut Ruggeri, le jeune chef étoilé, vient faire sa cueillette pour réaliser un fameux élixir.
La sculpture est faite de douze boucles d’acier découpé et roulé – « des assemblages par visserie… Par contrainte » – qui correspondent à douze marches que l’artiste a faites lors de sa résidence en 2020 – une résidence de confinement dé-confinée – invité par Emmanuel Morin, responsable de la direction artistique. Pierre-Alexandre a pris du temps pour arpenter les lieux, urbi et orbi. Il a déambulé dans l’enceinte de la vaste abbaye, y compris la nuit – privilège des résidents – et a parcouru les vallons et les bois alentours, ceux-là mêmes que le chef arpente à ses heures perdues (qui doivent être rares). Ils ont parlé de l’esprit des lieux et des bois, se sont racontés des histoires, notamment celle d’un ermite qui vivrait là, à l’insu de tous. Les lieux forts fabriquent des imaginaires robustes et Fontevraud n’échappe pas à cette règle.
La sculpture est donc un hommage à cet ermite… L’Ermite céleste. Elle fut élaborée au rythme du cycle lunaire, à l’instar des légumes et des plantes aromatiques qui poussent dans le potager du chef.
Le jardin du cloître peut ainsi, par l’intermédiation de L’Ermite céleste, établir un dialogue avec le jardin nourricier, et la sculpture être vue d’abord comme une ode au végétal et, par extension, au vivant et à tout ce qui pousse. Mais elle est aussi, en ce lieu clos du cloître, un objet transitionnel entre le végétal et le minéral de l’architecture ; une sorte de transition douce entre le foisonnement désordonné du végétal et l’ordonnancement rigoureux de la construction.
Son élaboration et sa construction ont aussi procédé de la sorte. Pierre-Alexandre Remy insiste sur ce temps d’atelier où le modelage – c’est le terme qu’il emploie – se fait au gré de la recherche, du travail, des aléas et des découvertes et non selon un plan préétabli auquel il suffirait de se conformer. Disposant d’une rouleuse, il a pu rouler – et parfois dé-rouler – à l’envi les lignes d’acier préalablement découpées pour les assouplir. On ne dira jamais assez l’importance de ce temps-là, un temps incompressible, celui de la gestation et du repentir, celui qui laisse toute sa part à l’accident, à l’imprévu, au non-programmé. C’est ce temps qui fait la qualité d’une oeuvre comme probablement la saveur d’un mets.
En ce lieu, à ce moment de la fin de l’été, tout semble résonner à l’unisson d’un temps retrouvé ; le temps de la contemplation ; l’esprit de L’ermite céleste anime en profondeur ce jardin particulier où des herbes folles et des lignes de métal jouent, au diapason, et sous le regard bienveillant d’une vénérable architecture, une partition allègre.

Olivier Delavallade

297 Jours à Fontevraud, 2022

Mémoires d’itinérances

Invité à produire une œuvre à l’échelle d’un lieu aussi vaste que la croisée du Musée Sainte-Croix des Sables d’Olonne, Pierre-Alexandre Remy réalise un ensemble de 4 sculptures, dont les titres renvoient à différents quartiers de la ville que l’artiste a traversés : Le Remblais, Tanchet, La Chaume et le Port. Si les représentations cartographiques des territoires ont été le point de départ d’œuvres antérieures,  l’expérience de la marche et de l’arpentage des lieux, prend le pas aujourd’hui sur une conception codifiée du paysage. Le basculement s’est produit lors d’une résidence à l’abbaye de Saint-Florent-Le Vieil durant l’hiver 2018. Suivant les pas de Julien Gracq dont l’œuvre s’ancre sur ces terres des Mauges, Pierre-Alexandre Remy empruntait ces chemins de bord de Loire qui traversent et jalonnent les récits de l’écrivain.

L’expérience physique de la marche, les observations durant ces cheminements qui sollicitent chaque sens, se greffent dorénavant aux dessins de méandres géographiques. Si la carte demeure le point de départ qui permet à l’artiste de définir le tracé de ses promenades, les moments d’arpentage et de contemplation du territoire condensent une variété de sensations qui s’additionnent à la représentation cartographique.

Lignes de fuite

Nous rejetons dans la sculpture la masse en tant qu’élément sculptural. Nous restituons à la sculpture la ligne en tant que direction(…) Aussi nous affirmons en elle la PROFONDEUR comme forme unique de l’espace.

Nam Gabo

Cette topographie sensible mise à l’épreuve du réel donne lieu à des maquettes à l’échelle 1/10e. L’artiste sculpte les dessins de ses promenades à l’aide de fils de fer travaillés à la main. Les lignes s’animent, s’élèvent, se condensent ou s’étirent et esquissent un dessin dans l’espace. La sculpture naît ainsi : le geste de l’artiste traduit différentes sensations imprimées au cours de ses pérégrinations, de ses marches. De la difficulté des chemins naissent des rythmes contrastés : accélérations, ralentissements, pauses. Le mouvement des lignes qui déclinent, s’élèvent, se croisent et s’entrecroisent livrent une géographie subjective qui met à distance le réel.

Dans le passage du plan au volume, la complexité parvient. La lecture du dessin se trouble, les lignes s’enchevêtrent et chaque point de vue génère de nouvelles lectures. Le tracé danse et notre regard se dilue dans le cheminement de ses trames. Cette immédiateté du geste de torsion du métal réalisé sur maquette, est ensuite transposée dans des proportions que Pierre-Alexandre Remy détermine en fonction du dialogue qu’il souhaite instaurer entre l’œuvre, l’espace et le corps du visiteur. À l’échelle de la croisée, les quatre sculptures occupent le volume dans toutes ses dimensions. On ne peut les appréhender de manière immédiate. Il faut en faire le tour, suivre les méandres de leurs lignes et leurs mouvements chorégraphiques. Le Remblai, qui offre le plus grand déploiement, induit qu’on se promène en son centre. Le corps est invité à pénétrer à l’intérieur de l’espace dessiné, le visiteur se trouve ainsi immergé dans un volume illusoire. L’artiste instaure des ruptures rythmiques, des accidents dans les cadences des arabesques. Les courbes métalliques s’élancent, chutent puis se redressent, pivotent, tournoient … Tanchet, la plus petite des quatre œuvres, concentre une puissante force intérieure. Le tempo vif de la ligne sinueuse crée un relief escarpé et laisse le spectateur à l’entour. Pour chacune des trois sculptures en élévation, mouvements de l’œuvre et du corps s’activent, s’amalgament ou se télescopent. Pour La Chaume, Pierre-Alexandre Remy a opté pour un développement horizontal aux strates superposées. « Cette pièce était au repos dans l’atelier, les différents éléments découpés posés sur le côté, les uns sur les autres. Je me suis dit qu’il serait intéressant d’utiliser ces éléments différemment des trois autres sculptures. Le quartier de la Chaume est le plus naturel des Sables d’Olonne, le plus sauvage, on y trouve des dunes. J’ai créé cette stratification en écho à ce paysage si caractéristique. »

Forme-Paysage

Le soleil fuse. Les mâts s’entendent. Les flots sans se lasser vannent des sacs d’étoiles. Et la poussière d’eau danse avec leurs reflets. 

Pierre Reverdy, TEMPS DE MER

L’abstraction des œuvres réalisées pour la croisée, coudoie ainsi le concret. La forme générale de chacune des sculptures résonne avec des éléments du paysage. Pour Tanchet, c’est tout à la fois la figure, le corps – c’est d’ailleurs la plus petite de l’ensemble des pièces –  mais aussi le rocher qui se découvre à marée basse que l’artiste suggère. Pour Le Remblai, Pierre-Alexandre Remy évoque une vague déployée. Elle s’enroule, se cambre, s’affaisse d’une solide énergie. C’est des quatre, la plus en mouvement des sculptures. Elle manifeste une intranquillité spécifique aux ressacs.

Le quartier du port est figuré par une forme plus ancrée et stable. L’artiste instaure une analogie entre ce volume et une barque grâce à ses contours, qui rappelle une coque de bateau. Ce sont ainsi des éléments simples du paysage côtier que convoque l’artiste. Il s’agit de partir de « choses » ordinaires pour générer des formes complexes. L’objet-sculpture naît du rapprochement d’éléments pluriels (géographiques, géologiques, historiques, …). Ces réalités différentes s’agglutinent dans l’imaginaire du réel.

Se dessine ainsi une conversation entre objets et paysages, extérieur et intérieur. La croisée était encore récemment un cloître, un jardin. Aujourd’hui fermée, l’artiste y importe et réimplante des panoramas, des lignes de fuite. Le paysage triomphe ainsi dans son immensité et ses contrastes naturels. Les sculptures captent et concentrent les énergies, contiennent et incluent les tensions, provoquent et restituent le mouvement comme le fait la Nature. Chacune d’elles s’appuie sur des rythmiques propres et heurtées. Elles sont pensées pour s’allier les unes aux autres et s’accorder de leurs différences. La stratification de leurs lignes imbriquées et leurs déploiements dans l’espace crée une harmonie en constante redéfinition. Pierre-Alexandre Remy orchestre la mise en scène comme il bâtirait un décor que les nombreux points de vues permettent d’animer. Il édifie un paysage sous la croisée. Au cœur du dispositif, le spectateur arpente le terrain, pouvant s’assurer une halte, se poser, et observer ce spectacle depuis La Chaume.

Eloge de la légèreté

Le rassurant de l’équilibre, c’est que rien ne bouge. Le vrai de l’équilibre, c’est qu’il suffit d’un souffle pour faire tout bouger. Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes

Selon l’angle de vue, les lignes des contours courbes des sculptures touchent le sol en de rares points (Le Remblai), donnant l’impression d’un équilibre fragile et d’un possible basculement. La sensation d’extrême légèreté et l’élasticité des lignes renforcent cette perception. Les courbes généreuses des sculptures sont pourtant façonnées par la torsion de pièces d’acier. « Je n’ai jamais pensé ce matériau dans un rapport à la rigidité, au poids, à la masse, à l’impression de force. Ce qui est beau dans le métal c’est sa souplesse. J’aime arriver à apporter une légèreté visuelle à un objet qui ne l’est pas, et de presque faire oublier l’aspect physique nécessaire pour fabriquer ces formes. » Peut-on passer sous silence face à cette danse de lignes, que des tours de force d’une rouleuse ont été nécessaires à l’artiste pour obtenir du métal cette mobilité, cette souplesse ? Cependant le labeur disparaît tout à fait lorsque l’ensemble des œuvres nous fait face. La transparence, la liberté, la malléabilité de ce matériau ainsi transformé l’emportent sur la masse. Le vide triomphe sur le plein, la courbe supplante la droite, la légèreté prime. Les objets n’obstruent pas l’espace, on pourrait ne pas les voir. « C’est le vide entre les lignes qui fait prendre conscience de l’œuvre, de sa taille ».

L’espace même traverse les œuvres et révèle les accentuations de rythmes, les rapports de tension, la cristallisation des forces. Pensées pour ce lieu, les sculptures établissent un puissant dialogue avec les volumes de la croisée. La lumière zénithale y joue un rôle fondamental, la charpente et sa « voûte gothique qui rejoue une croisée d’ogives » instaure de nouveaux réseaux de lignes, le scansion des ouvertures cintrées installe une cadence régulière, mathématique. Par contraste Pierre-Alexandre Remy compose une installation flottante, ondoyante, mobile aux accords denses et composites.

Monochromes bleus

Dans le domaine de l’air bleu, plus qu’ailleurs, on sent que le monde est perméable à la rêverie la plus indéterminée. C’est alors que la rêverie a vraiment de la profondeur. Le ciel bleu se creuse sous le rêve, le rêve échappe à l’image plane 

Yves Klein

L’ensemble des œuvres produites pour l’exposition sont d’une seule couleur : bleue. Le bleu n’a pas de dimensions … il rappelle tout au plus la mer et le ciel, ce qu’il y a, après tout, de plus abstrait dans la nature tangible et visible déclarait Yves Klein lors d’une conférence prononcée en 1959 à la Sorbonne. Aux Sables d’Olonnes, c’est en tout premier lieu au paysage et à ces étendues immenses et impalpables auquel nous pensons, mais aussi aux éléments que sont l’air et l’eau se reflétant l’un dans l’autre. Michel Pastoureau conte que le bleu aujourd’hui est de très loin la couleur préférée dans le monde « Le bleu ne fait pas de vague, il est calme, pacifique, lointain, presque neutre ». Pour l’artiste, ce choix fait à nouveau intervenir plusieurs réalités : le réel (le paysage), l’histoire de l’art (du Moyen-Âge aux œuvres de Matisse et Klein), et l’observation, l’expérience. La couleur s’éprouve en effet, elle est à la jonction de la matière, de la forme, de la lumière et de l’espace. Par le choix du bleu, Pierre-Alexandre Remy parvient à la dématérialisation du matériau acier, mué en une ligne souple, abstraite et délicate.

Pour parvenir à créer les teintes souhaitées, le travail pictural s’élabore en différents temps. Plusieurs passages sont nécessaires pour créer la profondeur désirée. La mise en couleur par les couches successives puis le glacis laqué, permettent de générer un bleu mouvant et réactif aux variations de luminosité. Selon l’éclairement et la position de la ligne peinte, le bleu fluctue, et ses nuances oscillent du clair au foncé, pointes d’éclat et de brillances jouxtant d’autres fragments dans l’ombre. L’artiste dépasse l’application d’une couleur homogène, le simple recouvrement de la surface pour parvenir à une réelle exploration picturale (teintes, texture, effets, perspectives). La couleur ouvre des mondes et de nouvelles voies : L’authentique qualité du tableau, son être même, se trouve au-delà du visible, dans la sensibilité picturale à l’état matière première écrivait Klein.

C’est donc une invitation au voyage que nous énonce l’artiste sous la croisée : du chemin au dessin, de la traversée aux sensations, du paysage à la couleur, de la forme à l’informe, du tangible à l’immatériel, de l’allégorie à l’abstraction et du réel au songe.

Vanina Andréani

La Croisée des promenades, 2020, éditions du MASC

De nouveaux paysages empruntés

Florent d’Anjou s’établit sur le promontoire du Mont Glonne. Du haut de son atelier Pierre-
Alexandre Remy est invité à arpenter de son regard, à poser ses pieds et ses pas du Mont jusqu’aux sables humides. Du haut de son atelier, la vue est toute aussi imprenable que le temps
qui passe. En contrebas, la Loire inscrit avec force son empreinte. Les îles aux Moines, Briand,
Mocquart, Meslet, Kerguelen, Boire Rousse, et la Batailleuse sont pour son regard à ses pieds. La fabrique est belle et bien établie. Le sculpteur en arpentera tous les chemins de ses yeux comme de ses pas. Les cartes sont inscrites dans le sable, mouvantes par endroit. De son atelier on envie la promenade. Pourtant c’est bien seul qu’il ira cartographier de ses empreintes de pas, comme expérience du paysage. Il en fera la connaissance par une marche solitaire. Pas après pas, il trace de ses yeux. À l’atelier, les petites pièces accrochées tracent une ombre sur le mur. Les ombres portées déploient de nouveaux chemins, ceux d’un nouvel itinéraire sculptural, de nouvelles voies réinscrites frontalement sur ses dessins.
La sculpture génère de nouveaux paysages, empruntés.

Pierre-Alexandre Remy en dégage les tenants, comme autant d’aboutissements de cette
lumière révélatrice : le noir de l’ombre éclaire. La lumière de cet hiver fut belle lors de son occupation des sols, ici à Saint-Florent-le-Vieil. Une marche régulière et lente s’accomplit le
matin, avant que les ombres ne mettent au jour de nouveaux dessins dans la lumière perçante
des après-midis. Le rythme de sa résidence est pris. Du rythme, son exposition n’en manque pas, traduction de ses envies de marches, chaque pas n’est que découverte. Les yeux cherchent,
perçoivent, et s’accomplissent dans ce dédale des espaces d’exposition. Chaque pièce donne relief à des sculptures. Chaque salle emplie de lumière, contient et révèle un paysage. L’accrochage dont il est resté maître se fait de plus en plus pressant.
Pour venir en ces salles, on a traversé par un pont qui tranche en deux une île : La Batailleuse.
Elle nous accueille aussi ici dans cette aile de l’abbatiale par ses formes et son gris mat, un gris
qui échappe à cette Loire en contrebas. Elle y est toute autant encerclée comme le sont les blancs des dessins accrochés. Fixées, les pièces de terre jaune du Fuilet, laissent courir les ombres comme on court sur le sable clair de cette Loire en pleine
lumière. Le rythme est haletant. On descend quatre à quatre les marches, comme on a monté l’éperon rocheux pour en découvrir son panorama.
Nous voilà au pied de la roche du Glonne, sous les voûtes ouvragées et ponctuées des
Bénédictins architectes. La recherche entre les arches de tuffeau cintrées se fait pressante en ces
salles sous la terre. Il y pose ses oeuvres arquées. Elles sont autant de points et de halte que le sont les céramiques. La terre cuite est juchée et fichée sur des envolées de traverses en métal soudées par l’arc. Les émaux sont fins, ils modèlent la terre travaillée par la main. Pierre Alexandre Remy, pas à pas, modèle ses sculptures comme la nature modèle ses paysages : à l’envie.

Mathias Courtet

En marchant en dessinant, 2019, édition Commune de Saint Florent le Vieil

Anatomie d'un contexte

C’est l’automne 2011. Pierre-Alexandre Rémy est en résidence au Domaine de Kerguéhennec.
Au point d’origine : le paysage. Celui du Domaine refuse d’obtempérer aux injonctions de lecture synthétique. Hétérogène et problématique à circonscrire, il génère un phénomène de brouillage, entre sentiment de nature immémoriale et forte préméditation paysagiste. L’oeil dérive autour du château entre le parc à la française, la forêt quasi naturelle, le lac artificiel sans en avoir l’air, et les buttes alentour également modelées par l’homme. Difficile de distinguer ce qui est architecturé de ce qui ne l’est pas : tout paraît composé à des degrés divers, sans que le dessein de la configuration d’ensemble soit pour autant limpide. Pierre-Alexandre Rémy s’empare de ce trouble, il le travaille comme un ferment.
« Alors que la photo satellite ne laissait apparaître qu’une soupe de verts plus ou moins uniformes parsemée de vagues taches bleues, la carte développait un fascinant lacis de départementales, de routes pittoresques, de points de vue, de forêts, de lacs et de cols… »
Michel Houellebecq, La carte et le territoire
Tout promeneur a spontanément recours à la cartographie pour se repérer dans un espace qui résiste. Il plonge alors dans les codes d’une abstraction relative, de celles qui fondent toute représentation mathématique du réel. Dans les cartes IGN, trois écritures distinctes échelonnent le paysage en couleur : orange, les courbes de niveau, bleu les cours d’eau et noir les routes. Pierre-Alexandre Rémy reprend le dessin et la chromie de ces composantes telles qu’elles définissent l’identité paysagère du Domaine. Un jeu formel commence, dans lequel l’artiste réinterprète la logique cartographique, elle-même approche interprétative du lieu. Un jeu d’éclaircissement mais aussi d’interférence.
Cette réinterprétation (décantation/dilatation/contraction) se fait sous influence du matériau choisi pour incarner ces trois données : le caoutchouc, dont les possibilités techniques guident le geste de conception. Penser la forme par la technique est un précepte que Pierre-Alexandre Rémy a retenu de sa formation : aux Arts Appliqués, il acquiert les techniques de l’art du métal ; et aux Beaux-Arts de Paris, il comprend qu’à jouer le seul faire-valoir de la prouesse technique, la forme finit toujours par être perdante. Le travail de Richard Deacon, la pensée de l’objet telle que la sculpture anglaise l’envisage vont marquer sa pratique, que le va-et-vient entre autonomie de l’oeuvre et relation très forte à l’environnement structure en profondeur. Certains gestes architecturaux viendront corroborer cette base conceptuelle – tels la Casa Musica de Rem Koolhaas ou le Guggenheim de Franck Gehry, lorsque d’un froissement surgit un bâtiment.
Attentif à cet équilibre, l’artiste encastre ses courbes pour réduire au minimum les points d’accroche et préserver la légèreté globale. Frappés d’apesanteur, ses rubans de polymère teint dans la masse déroulent leurs arabesques dynamiques, et leur couleur dense canalise le regard, l’entraîne à suivre les lignes de découpe hard edge extrêmement graphiques, qui sont aussi des strates et des traits de jonctions, liant oeuvre et contexte, paysage ressenti et paysage réel.
Autre écho contextuel, les platines qui fixent les points d’assemblage de ces bandes de caoutchouc sont découpées suivant le plan du bassin extérieur. Dans le parc, ce plan d’eau joue le rôle d’ornement remarquable, point de l’espace qui organise empiriquement le paysage autour de lui, par effet d’ondes, génération de motifs concentriques qui rapidement se relâchent, se délient, se délitent. Dans l’oeuvre, platines et rubans, lac et entrelacs se répondent, intimement connectés, entre précision et déperdition. Une précision parée de préciosité, celle du détail : l’oeil passe d’un ensemble foisonnant et « bruyant » à cette ponctuation argentée qui ressort du bijou, forme ciselée et compacte, blason haute-couture emblème de l’atmosphère châtelaine qui flotte alentour. Cette imbrication d’échelles n’est pas seulement pour l’artiste le moyen de faire pénétrer l’étendue dans la sculpture : elle multiplie aussi les rapports poétiques au site, et unit dans un même élan le registre de la métaphore à celui de l’expérience physique de l’objet dans son lieu d’inscription.
Ce dernier, s’il demeure dans l’enceinte du Domaine de Kerguéhennec, change de nature en mars 2012 : la sculpture rejoint le parc de manière pérenne, et profite de l’occasion pour partiellement muer. En effet, Pierre-Alexandre Rémy choisit de galvaniser la partie porteuse de l’oeuvre construite en acier. Clinquant et facetté comme un diamant sous la lumière, l’acier fraîchement sorti du bain souligne le côté « haute-couture industrielle » de l’oeuvre, confirmant aussi sa nature bipolaire, entre émanation formelle du paysage et extrême hétérogénéité à son environnement végétal. La sculpture prend désormais place dans une clairière à demi fermée, point d’ancrage intime en bord de lac. Elle est également visible d’un chemin haut, et ce point de vue en surplomb permet de mieux percevoir le dessin de ses trois courbes colorées et la dimension soulignée par Karim Ghaddab : celle du nuage, « du genre des tag clouds permettant de visualiser les flux de navigation sur internet » 2, colonie aérienne de trajectoires prolifères.
Beaucoup plus loin, de l’autre côté du plan d’eau, c’est encore la couleur qui saisit le regard. Sans en imposer dans la dimension ou la masse, l’oeuvre invite à s’approcher d’elle : énigme attirante, essaim souple, bourdonnement de lignes qui enclenche le désir de promenade.
« Un homme fait le projet de dessiner le Monde. Les années passent : il peuple une surface d’images de provinces, de royaumes, de montagnes, de golfes, de navires, d’îles, de poissons, de maisons, d’instruments, d’astres, de chevaux, de gens. Peu avant sa mort, il s’aperçoit que ce patient labyrinthe de formes n’est rien d’autre que son portrait. » Jorge Luis Borges, Musée.
C’est l’hiver 2011. Pierre-Alexandre Rémy est en résidence à Flers, cette fois-ci dans une temporalité de travail plus courte (un mois) et un contexte plus urbain. L’artiste perpétue l’approche graphique et sculpturale qui le caractérise, une mise en tension du projet avec la mémoire et la mesure du lieu. Pour le centre d’art 2Angles, il aborde le territoire selon deux angles, justement : par son dessin (sa cartographie) et par la matière industrielle qui s’y produit, en l’occurrence les articulations pour sièges automobiles fabriquées par Faurécia, l’une des plus grosses entreprises de la région. La carte utilisée, le « corps du lieu » comme il la décrit, est en l’occurrence la carte IGN 15150, sur laquelle l’artiste détoure les zones construites qui constituent la ville. La forme qui en découle lui sert ensuite de matrice graphique déclinée dans une série de trois sculptures, trois émanations subjectives du contexte.
Extrait cartographique urbain pour matériaux extra bruts : et pourtant, de ces disques et plaques d’acier perforé fournis par Faurécia, on oublierait presque les données matérielles. S’ils conservent leur rudesse industrielle, ils apparaissent surtout métamorphosés par le travail d’assemblage et de spatialisation que leur imprime l’artiste. De la même façon qu’à Kerguéhennec, Pierre-Alexandre Rémy allège la masse et fait danser les lignes, comme si l’empreinte cartographique induisait le mouvement. Déployée comme un dessin dans l’espace, une ronde de rondelles métalliques s’élève presque en lévitation, courbe oscillante curieusement organique qui accueille une étrange figure, un corps cartographique installé là, comme un horizon vertical (Cartographie assise). Au mur, un amas de pastilles vert pistache et
son ombre projetée : un lichen d’acier peint, une frondaison ou un nuage reliés métaphoriquement à la ville ; au sol à nouveau, un pliage troué d’alvéoles évidées, une feuille en apesanteur nervurée de veines rouges (Flerenpli).
Ouvertes aux lectures multiples (poétiques, formalistes, sociologiques…) ces oeuvres produisent un hypertexte du territoire. Elles en esquissent un portrait tout en replis complexes, en métissage de pensée scientifique et tellurique, en approche atmosphérique et sensuelle. Ce sont des objets traversants, parcourus par leur contexte, physiquement et conceptuellement. Et à Flers comme à Kerguéhennec, c’est peut-être ce que révèle ce temps de production très dense pour Pierre-Alexandre Rémy : la poursuite d’un cheminement intime dans le paysage, et l’élaboration d’une écriture sculpturale de plus en plus concentrée, polysémique et abstraite.

Eva Prouteau

éditions Domaine de Kerguéhennec et 2Angles, 2012

Sans transition

Commençons par un détour (apparent) et quelques évidences, au risque de la généralité. La sculpture, classiquement, est une masse. C’est une masse plus ou moins compacte, qui occupe un volume déterminé dans l’espace disponible et qui exerce certaines contraintes physiques sur le lieu : question de stabilité de l’oeuvre, question de la résistance des planchers, questions de transport et de manutention, questions de sécurité pour le public. C’est aussi une masse autour de laquelle on peut tourner. En cela, et quelles que soient les options formelles et techniques, la sculpture sollicite un regard enveloppant ou giratoire, lorsque la peinture stérilise le déplacement. Plus exactement : la peinture stérilise le vagabondage et la déambulation du corps de ses regardeurs. Le déplacement, à proprement parler, est sollicité mais seulement selon un axe perpendiculaire au plan du tableau. La peinture joue des dialectiques du proche et du lointain, de la profondeur feinte et de l’écran, de l’espace (du regardeur) et de la surface (de la peinture), de la représentation et de l’invisibilité…
(Nous avons annoncé, en commençant, en rester aux généralités et ce dispositif admet bien sûr des propositions hybrides et de nombreuses exceptions, depuis les anamorphoses de la peinture ancienne jusqu’aux actuels débordements picturaux dans l’espace, en passant par les spécificités repérés par Donald Judd dans certains objets qui, précisément, excèdent les définitions — notamment greenberguiennes — de la peinture comme de la sculpture.)
À l’inverse, la sculpture se tient de plain-pied dans l’espace tridimensionnel, non seulement devant le regardeur, mais à côté de lui, dans une proximité qui ne se mesure pas en centimètres, mais qui tient à l’homéostasie d’un milieu commun.
Pourtant, les sculptures de Pierre-Alexandre Rémy, souvent, inversent en partie ce dispositif : il est difficile d’en faire le tour parce qu’elles sont éclatées, proliférantes et tentaculaires. Éloigne l’horizon, Tohu-Bohu ou Le plafond se déchire s’étendent dans tout l’espace, dans plusieurs directions, du sol au plafond. Elles encerclent le regardeur et gênent sa perception en multipliant et dispersant les points focaux. Ce qui est à regarder n’est pas (seulement) devant soi, mais aussi au-dessus, à droite, derrière, à gauche, plus loin… Plutôt que d’embrasser une forme pleine et délimitée, le regard suit une ligne de caoutchouc vert qui serpente sur le sol, se raboute à une barre d’acier blanche, rencontre le changement dur d’un revêtement vinylique rouge, s’enroule le long de vrilles jaune vif d’une bande d’élastomère aplatie… Mais le développement spatial des sculptures ne contraint pas seulement le regard à une dispersion, il oblige également les corps à une déambulation particulière. Puisque tourner autour des sculptures, ou les contourner, ne s’avère pas aussi simple que d’ordinaire, les regardeurs doivent se plier — parfois physiquement — à une circulation contrariée dont les extensions de la sculpture dessinent autant de balises. Le volume simple du cube blanc traditionnel de l’espace d’exposition se trouve fragmenté, divisé, complexifié par la simple présence de la sculpture. Nous devons nous glisser sous, nous faufiler entre, enjamber et contourner. C’est tout le rapport de notre corps à son environnement immédiat qui est ainsi modifié. Le comble est sans doute atteint par Brazil-Bureau, un entrelacs de tuyaux PVC multicolores qui remplit entièrement un box administratif vitré. Contraignant ainsi la libre circulation des corps dans l’espace même
occupé par ses sculptures, Pierre-Alexandre Rémy instaure, non pas tant des lieux nouveaux, que des manières inédites d’habiter des lieux communs. Il n’intervient d’ailleurs pas sur l’architecture elle-même et ses installations sont éphémères (à l’exception d’une ou deux commandes publiques). Mais le temps d’une exposition, il inaugure des possibilités et des impossibilités nouvelles de circulation. La communauté — ce qui caractérise tout à la fois ce que ces lieux ont de partagé et la collectivité des corps qui en font usage — s’éprouve alors dans une inflexion de ses habitudes. La conduite commune est réformée en commun par une proposition
singulière et temporaire.
Au premier regard, la sculpture de Pierre-Alexandre Rémy présente des caractères de souplesse et même un certain aspect décoratif. Cela provient des matériaux utilisés, matériaux industriels, hérités du vocabulaire technique de l’art minimal et du registre formel du pop : acier, plastique, aluminium, élastomère ; couleurs unies, contrastes forts, surfaces lisses, formes issues de la géométrie (tuyaux, tubes à section carrée, bandes plates, etc.). Des pièces comme Rumeur en froissement ou Du sens de la file ? renvoient même au registre baroque par les jeux aléatoires de leurs lignes, leurs courbes et les arabesques qu’elles déploient. Tout cela ne provoque ni choc frontal, ni réaction de rejet. Au contraire, ces sculptures sont très séduisantes et elles partagent en grande partie la logique formelle propre aux champs de l’industrie du jouet, de la publicité ou du design grand public.

Cependant, ces aspects ne doivent pas en masquer d’autres, plus âpres, voire plus brutaux. Si l’ensemble formé par chaque sculpture présente effectivement des éléments baroques, chacune des parties qui les compose est dotée de caractères formels simples et unitaires : texture et couleur. Il n’y a ni motifs, ni variations de ces caractères autres que des changements brutaux. L’acier est contigu au plastique, sans transition, le blanc succède au rouge, le rouge au noir, le noir au jaune, sans transition, le lisse stoppe l’annelé, sans transition, le mou rencontre le dur, sans transition, le brillant est confronté au mat, sans transition. Quels que soient les différents régimes formels, techniques et esthétiques convoqués par cette sculpture, ils s’organisent toujours sans transition. Sans doute est-ce même là le véritable pivot autour duquel s’organisent toutes les opérations. Le passage ne s’effectue jamais par le dégradé ou le progressif ; il est toujours mise en présence brutale de deux hétérogénéités. En ce sens, malgré la souplesse des lignes et des formes, la flexibilité de la plupart des matériaux employés (caoutchouc, élastomère, PVC, linoleum, extruflex), et la malléabilité des combinatoires, ces sculptures sont des agencements de confrontations.
Une telle contiguïté sans continuité caractérise une pratique du collage et du montage. De fait, la sculpture de Pierre-Alexandre Rémy est un enchaînement de ready-mades aidés : elle ne recèle aucun élément modelé ou véritablement sculpté ; elle fonctionne uniquement sur l’aboutement de pièces (soit des morceaux, des parties) issues de l’industrie et détournées de leur usage technique. Si l’on considère Du sens de la file ?, c’est un assemblage de sangles en textile synthétique, d’un long ruban d’élastomère jaune, d’une bande d’acier en zigzag, le tout maintenu ensemble par des serre-joints, en une sorte de tresse où s’agglomèrent des éléments hétérogènes qui ne forment plus qu’une longue torsade hirsute. Il y a là quelque chose du fonctionnement d’un « cadavre exquis » ou d’un « marabout de ficelle » : un élément est directement raccordé à un autre, lui-même raccordé à un autre, lui-même raccordé à un autre, etc. La chaîne ainsi obtenue se déploie essentiellement en ligne (La ligne jaune, D’un bras déborde, Merci de suivre la file), en cercle fermé (Cheval-Vapeur, Zig-zag, Dialogue de sourds,
About:blank) ou en arborescence (Tohu-Bohu, La voûte échouée, Quelque part dans un coin de la tête, Le grand Squid).
Cette logique du montage n’a pas seulement des incidences sur la manutention des oeuvres (installation, transport, démontage), plus profondément, elle permet une permutabilité permanente qui, potentiellement, fait de chaque exposition une possibilité d’évolution ou de recombinaison des sculptures. (…) Comme les mots d’un discours, les éléments plastiques utilisés sont des monades qui, en étant réagencées, produisent des configurations inédites qui prolongent et approfondissent les états antérieurs de l’oeuvre. L’absence de transition que nous avons relevée précédemment, l’aboutissement par aboutement de la sculpture produit donc
une possibilité de mutation interne de chacune des oeuvres. Même des titres comme Dialogue de sourds ou Sur le bout de la langue tentent de dire l’impossibilité de claire communication. Du sol au mur, du blanc au rouge, du plastique au métal, du volume à la ligne, les formes butent mais un dialogue, fût-il heurté et lacunaire, s’élabore néanmoins. La progressivité plastique (dégradé, modelage, passage, etc.) absente dans l’économie de chaque sculpture permet, comme par symétrie, une progression de chaque oeuvre vers une nouvelle occurrence. La contiguïté sans continuité (des composants de chaque sculpture) produit une continuité sans contiguïté (c’est-à-dire sans co-présence) de chaque sculpture à elle-même, d’un état à un autre. (…)

 

Karim Ghaddab

Seconde Main, L'H du Siège 2009

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