-196° ἄζωτος, 2022

Alice Suret-Canale

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Alice Suret-Canale, «-196° ἄζωτος», 2022, photographie : droits réservés
Alice Suret-Canale, «-196° ἄζωτος», 2022, photographie : droits réservés

-196° ἄζωτος, 2022

Le PRéàVIE Le Pré-Saint-Gervais Exposition collective commissionership Marion Zilio

Avec les artistes : Chedly Atallah, Clémence Althabegoïty, Gabrielle Le Bayon, Diane Benoit Du Rey, Clément Bouissou, Yannick Dangin-Leconte, Ibai Hernandorena, Shengqi Kong, Gabrielle Kourdadzé, Vanina Langer, Louise Lan Millot, Miguel Miceli, Jean-Baptiste Monteil, Julien Richaudaud, Pierre Seiter, Alice Suret-Canale, Lise Thiollier

Sur une proposition de Marion Zilio,
assistée par Elise Brefort

Prenons acte de la vie des œuvres, de leur écologie, de leur circulation, de leur mode d’apparition, considérons que nos images, peintures, sculptures, photographies ou vidéos sont l’expression d’une vie qui se matérialise hors du corps en poursuivant son chemin par d’autres moyens, que faire de ces êtres à moitié vacillants ? L’espèce humaine a toujours cherché à dominer ou domestiquer le vivant, en inventant des espaces de monstration de la vie : vivariums, aquariums, zoos, musées, réseaux sociaux. Chaque fois, la vie y est comprimée, épinglée, cataloguée ou exhibée comme des rats de laboratoire, des autoportraits de Rembrandt ou des selfies sur la toile.

De la Chine antique à l’Égypte pharaonique, en passant par la cryogénisation du sperme, des ovocytes, des cellules souches ou encore de riches milliardaires russes ou américains, l’humain perfectionna des techniques d’embaumement pour figer les flux, conserver des présences disparues : des momies aux photographies, des écritures aux datacenters, nos archives sont des cimetières de mémoire, des chambres froides de denrées périssables. Ralentir la vie, son inexorable fuite en avant, fut sans doute notre plus grande obsession. Désormais des corps reposent à quelque -196 °C, en attente d’être réanimés. Partout des fossiles, du plastique, de la mémoire humaine et terrienne en stock et en pagaille témoignent d’existences révolues, comme si notre espèce avait anticipé sa fin programmée. Nous cohabitons avec le passé et anticipons les ruines à venir. Si bien que notre présent sera toujours déjà passé. Post-contemporains de nous-mêmes.

Les œuvres présentes dans l’exposition -196 °C ἄζωτος délivrent des capsules de temps ou des utopies manquées. Elles sont une mémoire fragile, un arrêt impossible dans la flèche du temps. L’azote, dont le terme fut inventé par le père de la nomenclature chimique, Antoine Lavoisier, en est un dénominateur commun. Ainsi passa-t-on de l’alchimie à la chimie et d’un langage ésotérique à un monde soumis à des lois et une taxonomie propre à la rationalité des Lumières. Composé du a (privatif) et du radical grec ζωτ (vivant), il signifie littéralement « privé de vie » ἄζωτος, ázôtos. Il est encore l’invivable, l’insupportable. Pourtant, et malgré son nom, l’élément chimique (N7) est un des composants principaux de l’atmosphère (78 %), des écosystèmes et des agrosystèmes. À l’état liquide (LN2), il a des applications alimentaires (engrais, congélation), médicales (conservation de tissus et organes, thérapie) et industrielles (simulation spatiale, explosifs). Il cause des brûlures froides et provoque des excitations cérébrales (gaz hilarant), puis de l’anesthésie. À l’image de l’azote, les œuvres entreposées dans les frigos du PRéàVIE activent leurs propres paradoxes temporels et transformations d’un état à un autre, entre conservation et préservation, accumulation et stockage, soin et destruction.