Le Frac possède plusieurs pièces de Michel Gerson, si tant est qu’on puisse, dans son cas, parler de » pièces « , quand bien même elles se présentent sous la forme d’objets artistiques clairement identifiables : peintures, dessins, photographies… Le travail de Gerson, au cours de ces dix dernières années, fut en effet un ensemble à la fois cohérent et multiple, compact et éclaté, clos et constamment ouvert, in progress. À l’image de la vie, de SA vie puisque aussi bien celle-ci en constituait le centre et la matière, le décor et la source inépuisable, le cadre et le mouvement. Sa vie, et plus précisément sa vie personnelle et domestique, familiale, mais aussi sa vie d’artiste dans la mesure où tout cela, dans son cas, ne fait qu’un. Une pièce de Michel Gerson, dans cette logique, ne pouvait donc être comprise que comme fragment, comme trace d’une entreprise globale qui, à partir de son environnement personnel, consistait à produire différents objets qui, certes, existaient de manière autonome, mais qui n’acquéraient tout leur sens que dans la configuration générale où ils s’inscrivaient et dont ils procédaient.
Il n’était pas si facile, jusqu’à présent, pour quiconque se trouvait en présence d’une photographie, de la série des Insomnies par exemple, ou devant les dessins de Mémoires, il faut savoir donner un nom aux choses, de se figurer la totalité de l’entreprise, les circulations dont elle est le théâtre, la complexité de ses articulations. C’est aujourd’hui chose faite avec la publication d’un CD Rom, support dont la nature même colle au plus près de celle du travail de Michel Gerson. Rarement nouveauté technologique n’aura à ce point servi un projet artistique. La conception arborescente du CD Rom convie à une lecture très ajustée parce que dynamique et rhizomatique de l’oeuvre. On y circule entre les pièces de l’appartement nantais du 2 rue Gaston Veil (C’est le titre du CD), dans les grandes questions (et les petites) de la vie ; on glisse de la prothèse dentaire aux prothèses urbaines qui aident à la survie des arbres le long des avenues ; on y assiste à des scènes piquantes, par exemple celle où l’artiste mange un citron ; on y consulte les pages de son carnet de croquis, etc. Ce CDRom clôt ainsi une phase essentielle du travail de Gerson et montre à quel point il fut un représentant, et souvent un initiateur, de ce qu’on a appelé » l’esthétique du banal « .
L’art, c’est la vie donc. C’est aussi, comme disait Robert Filliou, ce qui rend la vie plus intéressante que l’art : sublime et banal, timide et frontal, tout et son contraire. L’oeuvre (comme le mot paraît ici solennel et empesé) de Michel Gerson témoigne de la vigueur et de l’énergie généreuse de son auteur, de la qualité de son geste aussi, beaucoup moins dispersé qu’il n’y paraît ; d’une manière d’être, d’un mode de vie dont l’exemplarité antiautoritaire, non injonctive, constitue à n’en pas douter le sens et le charme.
Jean-Marc Huitorel
Texte du catalogue des collections du FRAC des Pays de la Loire