installation sonore, ventilateur, chewing-gum, métal, enceintes, câbles audio
L’installation antennae présente la trace d’une fiction incomplète dans laquelle un groupe d’enfants se réunit pour partager l’histoire d’une forme mythologique, celle d’une voix sans corps, errante, comme ils se raconteraient une histoire d’horreur. Dans ce groupe imaginaire, la parole se délie pour faire surgir par ses contours et son mystère une voix silencieuse, absolue, une sorte de personnage lovecraftien, informe et indicible, que rien n’actualise sinon les histoires qui en sont faites. Cette voix est un être impossible à appréhender dans sa forme en dehors des effets qu’il produit sur le monde. Pour l’installation, une station d’écoute de forme abstraite est présentée comme la matérialisation de ce souvenir, de cet instant de groupe au cœur duquel se sont déployés les désirs et fantasmes d’une forme inédite, extrahumaine, extrasubjective. C’est dans son déploiement dans l’espace et par la forme que la fiction présentée dans antennae pose la question de comment repenser l’écoute — à l’origine action solitaire — à plusieurs, au sein d’un espace ouvert et commun.
Pensée comme une station sonore, à l’image d’une radio autour de laquelle les entendant.e.s se réunissent afin de partager un moment d’écoute, l’installation sonore prend la forme d’une antenne qui donne l’illusion de capter et de diffuser le récit à entendre. Un récit fragmenté est donc porté par les voix de trois enfants en pleine mue, des voix en permanente transformation, en permanence réactualisées par leur propre péremption, des voix mutantes, les seules à même de dire ce qui échappe à la limite du langage. C’est une histoire, une spéculation sur l’absence par l’absence. Ce groupe de trois enfants fabule sur un personnage abstrait uniquement vocal et absent, sans forme, sans tête, sans gorge. Dans le prolongement de mes recherches plastiques et scientifiques actuelles sur la notion d’outre-voix, le récit se construit sur un creux, celui de ce personnage manquant qui renvoie au Percival du roman de Virginia Woolf, Les Vagues.
Les protagonistes de la fiction font face à cette découverte vocale d’une étrangeté radicale, qui se tient devant eux, mais qu’ils ne peuvent malgré tout pas voir. Ce récit met au défi la perception humaine, et sa capacité à projeter ce qui ne peut se concevoir, ce qu’il faut, ou non, laisser au silence.
La station d’écoute présentée dans l’installation forme un foyer sonore autour duquel le spectateur se rassemble, et qui renvoie au foyer de parole dont la fiction fait écho. Cette station est le support matériel et visuel duquel le son est émis. C’est une station/antenne ornée de ventilateurs hologrammatiques sur lesquels il est possible de lire quelques mots évoquant le contexte de la fiction. L’air produit par les ventilateurs fait référence au souffle, essence même de la production vocale humaine. Cependant, ce dernier ne produira jamais aucun son, ne fera jamais entendre les mots lus. La station devient l’objet-décor, mais aussi la substance qui catalyse et cristallise les voix éparses, toujours au bord de leur propre dissolution. L’enjeu de ce projet est de questionner les façons dont la fiction et son partage font foyer. Le foyer vocal et fictionnel qu’est le projet d’installation sonore antennae devient l’endroit où le feu narratif se déclare, où il est le plus ardent et d’où il se propage. Il gravite, trouve sa source et s’autoalimente autour de ce personnage fictif, immatériel et silencieux qu’est l’outre-voix. Faire foyer autour d’une fiction, d’une écoute commune, c’est faire partie de la communauté des auditeurs aux regards suspendus qui, derrière l’objet sonore actif, écoutent, parfois en silence, les voix enregistrées, métalliques et fantomales, sans corps fixe, qui articulent le récit. Faire foyer par l’écoute et, ainsi, se retrouver autour du feu sonore qu’est la pièce à entendre. L’installation est un métafoyer, d’une part dans le dispositif d’écoute, d’autre part dans la fiction même.