Sculpture à Porter activée par Lilou Legars lors du vernissage.
Enfumées, brûlantes, vaporeuses, nos images du monde sont plongées dans les fumées de la rébellion. Tantôt gaz des bombes lacrymogènes des forces de l’ordre, tantôt feux de forêts, ce sont toutes ces émanations brûlantes et irritantes dont l’artiste Laurence Broydé dépeint sur ses toiles. Cachée par ces nuées, la lutte s’active en arrière-plan. Derrière le trouble, se dissimulent les manifestations du mouvement anti-bassines à Sainte-Soline, déclencheur de l’exposition. Depuis quelques années, les peintures de feu habitent l’œuvre de l’artiste qui livre ici des “images iconiques de l’affrontement1”. Ces images de la défense collaborative des réserves d’eau sont la représentation d’un empêchement de la protection de nos milieux par les politiques et rappellent les violences entre les manifestants et les forces de l’ordre. Les écrans de fumée sont aussi symboliques. Ce sont ceux des politiques aux messages embués, mensongers et dangereux. Ils évoquent les barricades que les manifestants essayent de traverser malgré tout. Le trouble diffus nous plonge dans la fumée et cette volonté de passer outre. Nos yeux larmoyants s’irritent, tentent de faire le point sur cette oblitération de la nature. Une double image absurde et ridicule surgit alors : des CRS armés jusqu’au dents, comme en temps de guerre, face aux manifestants qui se protègent en brandissant leurs parapluies. L’artiste, en découvrant le manifeste Réensauvagez-vous !, soulève une part enfouie de nos êtres, encapsu- lée par notre société : la sauvagerie, qui serait chez l’humain, “à l’origine de tout son potentiel de vie2”. C’est finalement en s’intéressant à la polysémie du mot, qu’elle cherche “à remettre du sauvage dans nos vies3”. D’abord, à connotation négative, le terme rappelle un imaginaire colonial ou un champ lexical employé par les politiques pour caractériser les actions combatives des manifestants. En 1998, Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de l’Intérieur, nommait “sauvageons” les contestataires des banlieues avec condescendance. Le de- venir sauvage manifeste ici un désir de liberté, une occasion de reprendre le dessus et de se réapproprier l’espace public : entre fête sauvage et manifestation non-autorisée. Les grandes sculptures de laine s’affirment par une présence organique qui contrebalance ces destructions. Par un processus long de crochet, Laurence Broydé s’accorde à la lente croissance du vivant, crée avec les formes de la nature et met ainsi en œuvre une “économie des communs4”. En suspendant de la mousse et du mycélium de champignons (pleurotes roses et lion mane), elle nous fait goûter à une culture du sous-bois, possiblement soumise à un échec de la pousse. Ne serait-ce que par ses tentatives de faire intervenir des champignons comestibles aux vertus médicinales et aux formes étranges, ainsi que des excrois- sances de laine à porter ou non, elle contribue à créer activement du collectif et des potentialités de transformations. Quoi de plus évocateur que de faire se côtoyer ces humains dans le feu de l’action, des incendies de forêts et des fleurs éteintes ou en voie de disparition ? Tout est affaire de bouleversements naturels induits par le réchauffement climatique et les actions humaines. La faune et la flore s’éteignent silencieusement, sans retour en arrière possible. Ses six dessins de fleurs, posés sobrement au sol, deviennent des icônes de notre monde. Symboles de la disparition, les murs de flammes, eux, débordent, surprennent par leur étendue incontrôlables. Malgré une esthétique attrayante de la couleur, c’est tout le champ tragique de l’écocide, celui des reconquêtes sauvages de nos milieux et de nos libertés que Laurence Broydé aborde.
1Echange avec l’artiste le 16 mai 2023.
2Andreas
Weber et Hildegard Kurt, Réensauvagez-vous ! Pour une nouvelle politique du vivant, Paris, Le Pommier, 2021, p. 33.
3Echange avec l’artiste le 16 mai 2023.
4Voir en ce sens la pensée de David Bollier