20 avril 1983.
Cher Thierry,
Ici nous sommes mal placés pour subir ou vivre les problèmes du quotidien des “adultes”. Notre devise est la liberté de l’autre – lui laisser trouver la maison de son âme seul-. Nous aurions aimés être des marginaux. Ce n’est pas dans nos moyens, nous vivons dans l’urgence de l’accueil du malade ou de l’enfant en détresse. Ils se réfugient ici, ne sont jamais prévus mais attendus dans nos coeurs. Entre les vaisselles, le jardin et la bouffe, notre joie reste celle que nous lisons dans leurs yeux. Jean-Paul Sartre dit : “Pas besoin de gril, l’enfer c’est les autres.” Ce n’est pas dans nos moyens. Tu dis avoir été idéaliste en attendant tout des autres !!! As-tu essayé de tout donner sans espoir de retour ? Je ne suis pas un Dieu mais la personne qui possède la Maison des Fées ; elle appartient comme moi, à tous. Quant à ta vie en dents de scie, ce n’est pas si mauvais que la passer en petite laine à travers la désepérance des autres. Comme au café entre copains on se souvient d’avoir eu froid et faim ensemble. Tu as trouvé la sophrologie ? Le principal est de trouver un habit qui n’éclate pas aux coutures. Tu me dis que c’est bon un repas d’amitié. Oui, c’est un festin. Je suis contente pour ta maman, je reprends tes termes : “Plus de cystite et mal de bide.” (ô orgueilleux tu en sors). Si tu crois qu’ici on ne pratique pas l’amour pour oublier la vaisselle des autres ! Quant à l’éducation pourrie, etc, de ta lettre, les professeurs débiles, je les confie à ton jugement. Cela est-il important ? Revois quand même l’idéal anarchiste ; nous en reparlerons. L’histoire les présente végétariens, chaleureux, bons, “mourir une rose entre les dents”. Un combat de l’impossible n’est pas l’impossible combat. Bien sûr que c’est pratique de fondre le monde sans larme, entre copains, avec des mots dans un café sympa. Les lendemains sont moins chauds, face au boulot pour avoir son quignon de pain et son sac à dos qu’à ses mains. Effectivement, l’histoire d’avoir seize ans, je n’y crois pas plus que toi. Rappelle toi le château de Monceau où tu es allé. Nous torchions les vieux avec amour avant de devenir nous-même des vieillards. Ils avaient quinze ans mes jeunes de riches. Viens donc voir nos fous que nous appelons nos Amours ; tu comprendras peut-être que l’amour, c’est contagieux. Il n’y a pas de grand seigneur qui a peur de passer pour un con – je reprends tes termes – autrement, il ne serait pas grand seigneur. La société, c’est nous. Bien sûr, tu pourras partir à Genève te camer comme tu dis en cas de conflit. Sois rassuré, nous resterons ici pour te remplacer. Alors, viens donc nous voir et sois plus simple avec nous. Je t’attends, t’embrasse très fort et, à tres risques et périls, pourquois pas te joindre à nous.
Carméline.