Chapelle du Bélian, 2006

Vincent Mauger

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Vincent Mauger, «Chapelle du Bélian», 2006, photographie : A-M et M Tricoire VM
Vincent Mauger, «Chapelle du Bélian», 2006, photographie : A-M et M Tricoire VM
Vincent Mauger, «Chapelle du Bélian», 2006, photographie : A-M et M Tricoire VM
Vincent Mauger, «Chapelle du Bélian», 2006, photographie : A-M et M Tricoire VM
Vincent Mauger, «Chapelle du Bélian», 2006, photographie : A-M et M Tricoire VM
Vincent Mauger, «Chapelle du Bélian», 2006, photographie : A-M et M Tricoire VM
Vincent Mauger, «Chapelle du Bélian», 2006, photographie : A-M et M Tricoire VM
Vincent Mauger, «Chapelle du Bélian», 2006, photographie : A-M et M Tricoire VM
Vincent Mauger, «Chapelle du Bélian», 2006, photographie : A-M et M Tricoire VM
Vincent Mauger, «Chapelle du Bélian», 2006, photographie : A-M et M Tricoire VM
Vincent Mauger, «Chapelle du Bélian», 2006, photographie : A-M et M Tricoire VM
Vincent Mauger, «Chapelle du Bélian», 2006, photographie : A-M et M Tricoire VM
Vincent Mauger, «Chapelle du Bélian», 2006, photographie : A-M et M Tricoire VM
Vincent Mauger, «Chapelle du Bélian», 2006, photographie : A-M et M Tricoire VM
Vincent Mauger, «Chapelle du Bélian», 2006, photographie : A-M et M Tricoire VM

Chapelle du Bélian, 2006

Mons, Belgique

Résidence d'artiste dans le cadre du programme mapXXL des Pépinières Européennes pour jeunes artistes.

Nerfs de papier

En physique, on parle notamment d’univers froissé quand dans certaines régions de l’espace, mimant une feuille de papier, une déformation apparaît et s’avère plus prononcée qu’ailleurs. Le froissement est ainsi tel parfois qu’il instaure dès lors une boucle temporelle allant du présent vers le passé. Cette instauration d’un temps intermédiaire peut se retrouver, par analogie, dans le travail de Vincent Mauger.
Travail à la gravité relative, celui-ci s’élabore par des mises en situation malicieuses où les déplacements s’opèrent sur des modes à la fois physiques et cérébraux. A travers tout un jeu sur des configurations, des rapports de dimensions ou d’échelles instigués, Vincent Mauger aime à questionner des architectures ou des espaces habités, quant à leur matérialité et la perception sensitive que l’on peut en avoir. Endroits du virtuel, ses maquettes, installations ou vidéos apparaissent comme des dispositifs plastiques que l’artiste met méticuleusement en place interrogeant la position concrète et mentale du spectateur.
On pensera à la surface de brique tapissant le sol de la chapelle des Calvairiennes à Mayenne, conçue de la même manière qu’elle le serait  à l’aide de la palette graphique d’un ordinateur. Sa pièce intitulée Contain[E :R] est aussi à cet égard symptomatique dans cette tentative faussement vaine d’emprisonner au moyen d’une caisse aux parois mouvantes du vide ou de l’air. Les travaux de Vincent Mauger procèdent souvent d’un leurre allégorique, d’une aporie, à l’image d’une de ses vidéos où l’on voit évoluer des poussières dans un même mouvement répétitif, tel un ballet dérisoire.
Réalisée pendant sa résidence à Mons, l’installation in situ présentée dans la salle du Bélian participe des mêmes enjeux, elle constitue en une variation inédite, ajoutant une perturbation supplémentaire à l’actif de l’artiste. Si Vincent Mauger a toujours dit s’être intéressé aux vertus du ratage par le biais de la figure de la boulette de papier, c’est sans doute parce qu’elle semble incarner au mieux  cet état en germe de devenirs et d’extensions. L’amoncellement, l’agrégat de toutes ces boulettes de papier contenues dans la chapelle est la représentation des infinités et des possibilités multiples. Le réceptacle et le réservoir qui décrirait les trajectoires d’une pensée : une projection rêvée et suggérée, comme l’on lance une idée en l’air et que l’on retrouve une légèreté.
Autant de fictions éventuelles ou non, préférables ou indécidées, de brouillons hypothétiques, que la pièce de Vincent Mauger met en scène et effective dans la salle du Bélian. Une troisième manière de formuler, à l’instar d’un Bartleby : la mise en abyme de toutes les narrations potentielles, pièces, croquis… Une matière fantôme et inflammable. L’artiste propose ainsi la création d’une temporalité suspendue, entre futur et passé. Un vagabondage incessant dans lequel le spectateur peut pénétrer, plonger, évoluer à loisir.
L’installation de Vincent Mauger distille une poésie célibataire, du neutre et de l’impersonnel. Un relief vierge comme une neige d’un nouveau type, une aire de jeu où les batailles et les flocons sont de papier. Au milieu, la table, élément matrice et récurrent dans le travail, est le seul indice qui rappelle l’auteur invisible de la pièce, le double de l’artiste.
Edifice éphémère et friable, cette masse blanche s’apparente à un voyage immobile ajusté aux mesures de la chapelle. Elle développe un paysage en trois dimensions, formé de plis et de nervures, aux tracés et aux contours sismiques ; comme si l’artiste avait dessiné un nouveau terrain d’investigation : l’aventure déployée de tout un espace façonné à la main. Maçon interlope, Vincent Mauger, se plaît à se balader dans l’écart inframince qui existe entre modeler et modéliser. Faire des boulettes de papier, passer le temps machinalement, en faire une occupation ; l’expression est ici à entendre dans toutes les acceptations du terme.
De part le nombre et l’ampleur, le geste de jeter une boulette de papier est ici poussé à son absurde, et se transforme en un acte mélancolique et rigolard. Sculpter comme l’on confectionne une boulette de papier et réciproquement : l’équivalence est intéressante. Elle peut s’interpréter et correspondre au temps d’atelier, moment de gestation, de dérive mentale. Robert Walser dans Le territoire du crayon parle de l’usage du crayon en ces termes : « il me semblait que je pouvais travailler au crayon de manière plus rêveuse, plus calme, plus lente, plus contemplative… »
Crayonner, griffonner, esquisser, puis ensuite fabriquer et construire ; l’importance du faire va de pair chez Vincent Mauger avec la finalisation pratique de l’ouvrage, puisque souvent celui-ci peut se rapprocher d’un chantier grandeur nature. Tout cela tient d’un double-bind, un processus dans lequel l’artiste met en œuvre sur  le même plan, les moyens et les conditions de l’ordonnancement de la pièce.
Lieu des ambivalences, le travail de Vincent Mauger s’évalue à l’aune d’un humour flegmatique, qui orchestre des renversements aux ressorts aussi simples que savoureux. A la salle du Bélian, l’artiste en donne une translation active et distraite, un précipité goguenard. Une mise en volume et son écho. Un air de rien. Juste le bruissement du papier qui travaille et se détend, sans se forcer et à son aise. Une tranquillité diffuse, à la fois patiente et toute intempestive.

Frédéric Emprou