Rêver le wallpaper
Et si Configuration requise correspondait avant tout à une esquisse sur papier ? Et si l’installation de Vincent Mauger avait d’abord à voir avec le geste de dessiner ? Colorier un espace, agencer un temps de la même manière qu’on l’ajusterait au moyen d’une palette graphique. Tracer les contours d’un dessin à la fois posé à plat et fait à la main. Comme si cet édifice de briques avait été tiré d’un portfolio hors norme. Un volume à l’appréhension sans cesse renouvelée et retravaillé par le regard.
Caractéristiques pour leur variété, les pièces de Vincent Mauger s’élaborent autours de la recherche constante d’une équivalence ; elles entretiennent de multiples balancements entre les différentes techniques et moyens qu’elles mettent en place. L’artiste opère sans aucun complexe des glissements entre les supports et les outils employés. Pour l’installation in situ dans la chapelle des Calvairiennes, l’usage d’un matériau traditionnel et artisanal tel que la brique témoigne d’un humour plutôt retors.
Nourrissant une réflexion sur le virtuel, l’intérêt pour la modélisation dans son travail va de pair avec un souci d’expérimentation. La résidence aux Calvairiennes procédait de cette entreprise, de ce pari. Spéculer d’abord, puis confectionner ensuite, faire, fabriquer pour découvrir ce qui va se passer. De la même façon, il aime à réaliser des maquettes pour la trame de ses vidéos qui mettent à l’œuvre des phénomènes pour le moins incongrus et inattendus. Vincent Mauger manie savamment les leurres et prend un malin plaisir à brouiller les cartes. Tout est une question d’échelle ou de résolution. Il en résulte à chaque fois, un déplacement, un trouble, une turbulence.
En anglais, on pourrait parler indifféremment de wondering a space comme de wandering in a space. Déambuler dans un espace et s’interroger quant à celui-ci : le projeter tout en l’arpentant. Ces propositions s’appliqueraient volontiers à nombre d’œuvres de Vincent Mauger, dans une même simultanéité. Celles-ci questionnent très souvent une spatialité ainsi que la perception contiguë que l’on peut en avoir et qu’elles mettent en scène : une aventure mentale. Peut-être ce jeu allusif et sensitif dont parle Michaux à propos de l’écriture : « …entrer profondément dans ce monde aussi concret, je le répète, aussi sensible pour moi que pouvaient l’être les paysages, les architectures, les événements, les personnes, les choses du monde dit physique. »
On se souviendra de l’installation que l’artiste fit à Fontenay-le-Comte, ce bureau à la lampe allumée flottant à la dérive sur un cours d’eau, synonyme de la pensée vagabonde. Ou de la pièce de l’atelier des Beaux-Arts de Paris, réplique réduite en arceaux de bois des arêtes de celui-ci ; mise en abyme du lieu illustrant les voyages immobiles et le temps de la création. A côté de la maquette qui rappelait le château d’allumettes, un moniteur montrait des vraies allumettes craquant et s’enflammant. Il y a presque toujours un double mouvement teinté d’ironie dans les travaux de Vincent Mauger. Pour Configuration requise, placée devant l’autel une masse de plomb agit tel un indice ambivalent d’édification ou de démolition : celle-ci permettrait d’annuler, d’effacer ou de restaurer l’ouvrage comme sur clavier ou un chantier. Ajoutant une virtualité supplémentaire, la masse signale plaisamment un temps qui se diffère mais aussi l’artifice et la facticité de l’endroit.
Cet aplat de briques dont les bords rappellent le carton ressemble à une surface alvéolaire et numérisée qui se déploie ; un paysage strié, tapissé et sismique. Ce relief découpé qui pourrait être aussi un papier froissé s’apparente à un mapping continuel et concret. Une ville hypothétique et enfantine reprenant la figure du jeu de construction : un lego poétique grandeur nature.
Il y a quelques temps Vincent Mauger avait présenté des boulettes de papier géantes dans une exposition. Un peu plus tard, l’artiste s’était expliqué sur les qualités du ratage, ce moment suspendu, ce devenir arrêté. Ces boulettes où l’on a griffonné négligemment et qui portent en germe autant de formes à venir, sortes de buvards à la fois réservoirs de possibles. Configuration requise taillée à la mesure de la chapelle, épousant et révélant son architecture, incarne à sa manière l’espace de la possibilité, de l’entre deux, de l’intermezzo, de l’inachèvement.
Non loin de là, la vidéo projection disposée derrière le retable de la chapelle représentait un endroit de nul part, mouvant et défilant. En contrepoint de l’installation de brique, elle en produisait un écho jubilatoire. Réalisé sur l’ordinateur à l’aide d’un logiciel de trois dimensions, les perspectives n’y semblent jamais s’arrêter, l’horizon parait se clore et s’ouvrir perpétuellement sur lui-même. Le point de vue du spectateur est annexé par cette mobilité ininterrompue, d’où il en découle une perte de repère visuelle. Ces plans en réalité ne sont en fait que deux pages blanches sur lesquels ont été tracées des lignes noires au crayon. Encore une fois, dérisoire du stratagème et des instruments employés, où il faut y voir un clin d’œil de l’artiste.
Un ailleurs de carton pâte dont les paroles d’une chanson de Brigitte Fontaine auraient pu faire la parfaite bande son moqueuse et amusée : « …alors il n’y a pas d’ailleurs d’ailleurs il n’y a pas d’alors mais si tout est à l’intérieur non rien de rien n’est en dehors Alors voilà peut-être alors voilà tout alors voilà rien on est dedans on est dehors… »
Configuration requise répond ainsi aux dimensions d’un jeu, celui de l’artiste. La facétie et la désinvolture de celui qui ausculte avec précision toutes les fantaisies d’un ciel. Celui d’une chapelle. Pour en faire son fond d’écran.
Frédéric Emprou