Entretien par Jessica Castex et Anaël Pigeat
JC & AP : Vos travaux évoquent à la fois des paysages naturels ou artificiels, et des architectures utopiques. Quelle est l’origine de ces représentations? Quelle en est l’intention ?
VM : Ces représentations trouvent leur origine dans un questionnement sur l’espace. Mon travail naît d’une observation de matériaux et d’objets, de leur propriétés, de la façon dont ils se travaillent, se coupent, se cassent, s’assemblent… Je repère des analogies, des rapports de formes que je choisis d’exploiter pour ce qu’ils peuvent évoquer. Sans prendre comme point de départ des images tirées de l’imagerie numérique ou de science-fiction, j’ai à l’esprit ce type de références quand je manipule des matériaux a priori très éloignés de cet univers. A travers ces représentions j’interroge notre rapport à l’espace, au paysage, et aux matériaux.
JC : La part artisanale et le « fait-main » semblent prépondérants dans vos œuvres…
VM : Le fait que mes œuvres soient créées à la main et non par une machine est souvent important. En revanche quand on pense fabrication à la main, on envisage une dextérité dans le geste, or je cherche davantage à trouver un moyen rationnel, efficace et astucieux de construction afin de pouvoir se concentrer sur un travail de composition dans l’espace. Mes pièces fonctionnent souvent comme un jeu de construction à grande échelle, dans lequel les modules et les systèmes d’assemblages sont prédéfinis. Je ne cherche pas à obtenir un aboutissement figé mais plutôt une démonstration ouverte de ce qu’offre le principe mis en place.
JC & AP : Vos productions évoquent l’esthétique du monde virtuel (images de synthèse, répétition de modèles numériques…). Vous semblez impatient de donner matière à ces formes, mais avec des matériaux de bricolage (polystyrène, bois blanc…). Pourquoi ce contraste ?
VM : Il y a longtemps que je m’intéresse à l’utilisation des outils de conception en 3D et aux questionnements qui en émergent. Le va-et-vient perpétuel entre univers réel et virtuel m’a toujours intéressé ; le second cherchant à calquer le premier tout en augmentant ses possibilités. Ce sont les paradoxes qui m’intéressent, le fait que certaines tâches sont très faciles à effectuer dans l’espace réel alors qu’elles sont quasi impossibles virtuellement, et que la réciproque est vraie également. Le contraste entre l’apparente perfection des outils virtuels et des matériaux ou des techniques rudimentaires de réalisation est un des moteurs de mes recherches. J’exploite les tensions et les contradictions qui peuvent exister dans la conception et l’usage habituel de ce que l’on peut désigner par High-Tech et Low-Tech.
JC : Les matériaux que vous employez semblent parfois avoir perdu leur matérialité. Est-ce une manière de leur donner une forme mentale?
VM : Par l’utilisation des matériaux, leur assemblage et leur mise en espace, je vise à perturber leur perception et leur lecture. Il s’agit à la fois d’un dessaisissement par la perte de repère et d’une réappropriation par la proposition d’un nouveau point de vue. De cette façon il est plus facile de se détacher et de s’éloigner des usages afin de pouvoir manipuler, modifier et transformer une réalité par son approche mentale.
AP : Vos sculptures donnent parfois l’impression d’être bien plus lourdes ou plus légères qu’elles ne le sont en réalité. L’illusion est-il un champ qui vous intéresse ?
VM : En réalité je cherche surtout à interroger la connaissance que l’on croit avoir des choses, en perturbant leur lecture par des usages inédits ou par de nouvelles associations de formes et de matériaux. Je ne modifie jamais l’aspect de ce matériau, il est souvent ostensiblement visible: il n’y a donc pas d’illusion mais une modification de la perception.
JC & AP : Vous mentionnez parfois le travail de Richard Deacon. Vos formes élémentaires pourraient-elles également évoquer quelques affinités avec la sculpture minimale? Quelles sont vos sources d’inspiration dans le champ des arts plastiques ou dans d’autres domaines de création?
VM : Effectivement j’aime beaucoup son œuvre, même si ses pièces sont formellement plus sophistiquées que les miennes. Je m’intéresse surtout à la façon dont il travaille les matériaux. En revanche, je me reconnais moins dans le fait que l’aspect artisanal réalisation de ses œuvres soit visible dans ses pièces. Dans mes recherches, je cherche à mettre en place des processus plus économes, plus simples.
JC & AP : Dans vos travaux récents, l’espace joue un rôle prépondérant. Pourquoi travailler si souvent in situ?
VM : Au départ certaines pièces existaient sous la forme de sculpture, maquette. Mais très tôt, j’ai réalisé des pièces in situ ou s’y apparentant, à partir de l’espace de ma chambre d’étudiant, de l’atelier dans lequel j’étais aux Beaux-Arts de Paris. J’ai régulièrement exposé dans des espaces atypiques (chapelle, forêt, parc…). Je préfère appuyer mes réalisations sur un dialogue avec le site, plutôt que de ne pas en tenir compte ou d’y confronter la pièce, car je crois qu’une œuvre sculpturale ne peut se lire et s’apprécier en faisant abstraction du contexte dans lequel elle est montrée.
AP : En quoi consiste votre proposition pour « dynasty »?
VM : Pour l’exposition, je montrerai deux sculptures in situ, à travers lesquelles, avec un geste inverse de celui du sculpteur, je pars du matériau déjà transformé, pour leur redonner de façon stylisée une forme brute, vierge de toute intervention. Il faut sans cesse fabriquer de nouveaux territoires.