Vincent Mauger appartient à une génération d’artistes qui accomplit consciemment ou intuitivement un retour à la matière, après plusieurs années de « dématérialisation » de l’oeuvre d’art. Volume, gravité, masse, surface, attraction, solidité, massivité, granulosité, occupation de l’espace… sont autant de pistes d’interprétation et de lecture qui ancrent l’oeuvre dans son lieu de présentation et qui forcent le spectateur à se concentrer, avant tout, sur ce qui est présent devant ses yeux. Cette évidence du corps de la sculpture dans l’espace, Claes Oldenburg la décrivait ainsi : « Pour moi la sculpture est simplement du matériau en action. Qui n’a que la gravité pour limite ».C’est certainement, avec humour, une manière de lire Gravity is Dead (2006), une pièce de 10m3 uniquement fabriquée en contreplaqué de peuplier qui se meut dans un dispositif complexe sur les trois axes de l’espace à l’aide de roulettes, pour nous présenter en son centre, et au final, un escalier hélicoïdal… sorte de machine nue en rotation sur elle-même, élégante et inutile, qui aurait pu surgir de la rencontre entre Léonard de Vinci et M.C. Escher. Vincent Mauger lui-même préfère rester discret et évasif sur son origine, évoquant tout à la fois les sports extrêmes et les dispositifs mécaniques cachés qu’il utilise pour réaliser ses vidéos.
Logique d’envahissement
Sans Titre, 2007, présentée dans la deuxième salle de l’exposition est représentative d’un certain « plaisir de l’envahissement » que Vincent Mauger a déjà plusieurs fois expérimenté : en 2006, à la chapelle du Bélian à Mons, il noya intégralement l’espace de boules de papier A3 froissées, que les visiteurs pouvaient littéralement traverser, jusqu’à en être submergés. A la chapelle des Calvairiennes, en 2005, c’est cette fois 250 m2 de briques que l’artiste installe dans l’allée principale, surélevant le sol, dont certaines furent taillées à la scie pour dessiner –un peu à la manière de la pièce présente ici dans l’exposition- des reliefs s’apparentant à des montagnes. L’aspect spectaculaire de ces installations provient certainement d’une sensation de déjà-vu : cesespaces, nous les connaissons ; il s’agit bien sûr des représentations issues des logiciels 3D, des courbes dessinées par les sampleurs pour travailler le son ou encore des analyses de niveaux de Photoshop. Mais Vincent Mauger s’amuse à les faire basculer dans le monde réel, et ses outils ne sont plus la souris, l’écran et l’ordinateur, mais des scies sauteuses, des serres joints et de la colle. Préférant travailler seul pour s’immerger dans la logique exponentielle de la pièce, il affronte physiquement le chantier, dans une sorte de danse entre l’unité de la matière et l’espace qui la contient.
Rhétorique de la technologie
Dans la série des dessins Sans titre, 2006, c’est dans un mouvement inverse que l’artiste nous conduit. Au premier abord, il semble s’agir de dessins au feutre, au crayon, ou au stylo bic esquissant des paysages. Mais quelque chose ne colle pas : ici les courbes se rejoignent parfaitement, là ellesdessinent comme le bord d’un orifice trop régulièrement, ailleurs elles se retournent et créent un volume avec une étonnante exactitude… C’est que Vincent Mauger s’amuse à renvoyer les accidents du dessin dans un logiciel de conception 3D. Il injecte alors une étrange humanisation, une sorte de dérèglement inhabituel, dans ces logiciels conçus justement pour ne pas laisser laplace à l’erreur ou à la fantaisie. Cet espace rendu physiquement possible où se croisent sur un plan imprévu l’art et la technologie, c’est là que l’on trouve Vincent Mauger, entre la virtuosité du Compagnon et le regard de l’explorateur.
Gaël Charbau