« Funky Macabo »
Centre d’art La Laverie La ferté-Bernard // du 24 mai au 30 juin 2023
« Un nouveau Lucas grandin est né ! »
Princesse Marilyn Douala Manga Bell, Directrice du centre d’art Doual’art, Douala, Cameroun, Mai 2019.
Le Cameroun a frappé Lucas Grandin comme la foudre peut toucher une graine photosensible. Un bouleversement, au plus profond de soi. Essentiel. Irréversible. L’évidence d’une éclosion,que dis-je, d’une explosion ! Le dessin qui était auparavant au service de la sculpture est maintenant au centre du propos. Un nouveau Lucas Grandin, sans école d’appartenance, est propulsé hors de terre. Il est surpris lui-mêmepar ce qui s’extirpe de ses tripes, autant que les membres du fan-club du sculpteur social, techniquement très structuré, aux matériaux mat et écru !
L’artiste-peintre exprime ses émotions en couleurs, du sombre au lumineux. Il se raconte, conte le passage initiatique dans un univers obscur, puis, presque brutalement, exprime les ambiguïtés du monde flamboyant et ensoleillé.
La première série de peintures sur papier débute par deux triptyques qui nous plongent dans un monde souterrain, presque aquatique (utérin ?), où séjournent des créatures cruelles et dentées, aux commissures de lèvres nappées de filets de sang. Lucas nous entrouvre la porte d’un lieu vivant et fantasmagorique où se déploie un long alien, sorte de gosier spectral aux anneaux rouge vif ; il nous fait pénétrer dans des entrailles où se vivent toutes sortes de borborygmes en ébullition verte…
… La violence est là. Les dents qui lacèrent sont là. Le terrain est chargé, volcanique. Rien n’est apaisé, l’air est vicié … Pourtant, et c’est là la main de maître, loin d’être sinistre, l’artiste crée une harmonie chromatique qui offre une douceur apparente. Puis surgissent les spectres, les démons. Ceux-là n’ont pas de dents. C’est d’abord un groupe de personnages fantomatiques, puis des corps en cercle quisuggèrent le rituel et invitent à la transe, dont seules sont visibles les têtes coupées, rouge desang, aux yeux incandescents scrutateurs. Et les dents sont réintroduites par cet homme en uniforme que l’on torture, auquel on écartèle la « gueule » au point de la démantibuler. La fin du cauchemar sonne lorsque survient le cri (primal ?), venant de ces bouches grandes ouvertes, aux mâchoires circulaires et aux gorges déployées hurlant l’instinct de survie. Ces dents, ces langues, ces glottes appartiennent à un peuple qui clame le besoin de se libérer.
Dans cette première série, le narrateur est multiple. Il n’y a aucune individualité. Il réussit également à exprimer une certaine rythmique par la répétition des formes dans certains tableaux, et, fidèle à son inclinaison pour l’art sonore, Lucas nous faire entendre une multitude de bruits et sons, allant du silence au hurlement, en passant par les gargouillis, le froissement des fantômes et tant d’autres sonorités lugubres… Tout au long de ce parcours dans l’obscurité, Lucas Grandin, qui a toujours su garder secret son monde intérieur, nous livre un premier chapitre de ‘’strange’’, un univers torturé et délirant. On ne le savait pas capable d’écriture abstraite, ni même capable de se soustraire ou de faire abstraction du réel.
La seconde série de peintures est en rupture absolue avec le monde des ténèbres. Lucas Grandin passe d’un travail surréaliste, oniriqueà un travail extrêmement figuratif, qui rentre complètement dans un graphisme de BD, où les personnages sont parfaitement identifiables. Et dessinés avec beaucoup de tendresse.
Le peintre nous ouvre à un « nouveau » monde, aéré, joyeux. Il traite le sujet de façon presque naïve, avec des couleurs franches et vives. On retrouve là son côté drôle et enfantin ; cette manière qu’il a, en se cachant derrière des pointes d’humour, de poser des mots sur les maux et les laideurs qu’il devine, qu’il voit, qu’il vit. Parce qu’il avance masqué, la forme dissimule habilement la gravité du sujet. Il nous parle de la perversion de l’amour et des brutalités inhérentes à nos cultures contemporaines : l’enfant repu et objet de concupiscence de l’homme masqué dont la femme potiche est entièrement complice ; la jument qui vomit un liquide blanchâtre (sperme ?) sur la gueule de l’homme de pouvoir en costume symbole de réussite sociale ; le doux baiser à un chou-fleur, faute de partenaire féminin; l’homme pieuvrequi asphyxie dans ses multiples languestentacules la femme devenue objet ; le militaireenserré dans les bras de celui/celle qui, à genoux, s’agrippe à l’idéal des années 70 « make love, not war » ; le militaire qui écrase le tendre rêveur écolo ; la fausse gémellité mère-fille toute en tendresse, pourtant issue de violences sexuelles; …
Lucas Grandin, témoin de son temps, partage ce qu’il a appris au Cameroun. Quelque chose de finalement universel ! L’homme, qu’il soit dans un endroit sombre et gris ou dans un monde d’apparence gaie, est soumis à des rapports de force. Il peut être beau dans ses combats, mais il est vulnérable dans ce contexte global de destruction du vivant, de l’impureté de l’amour. Il n’y a plus aucun lieu préservé, plus aucun Eden sur terre. Ce que l’on retient de l’histoire est que Lucas Grandin veut rester obstinément optimiste et, à sa manière,un défenseur de ceux qui croient encore en un monde meilleur. On en connaît maintenant un peuplus sur l’artiste au grand coeur ! Et on l’aime !