Monument Synthétique, 2016

Vincent Mauger

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Vincent Mauger, «Monument Synthétique», 2016, photographie : VM
Vincent Mauger, «Monument Synthétique», 2016, photographie : VM
Vincent Mauger, «Monument Synthétique», 2016, photographie : VM
Vincent Mauger, «Monument Synthétique», 2016, photographie : VM
Vincent Mauger, «Monument Synthétique», 2016, photographie : VM
Vincent Mauger, «Monument Synthétique», 2016, photographie : VM

Monument Synthétique, 2016

Caves de la Maison Ackerman Saint Hilaire Saint Florent sur une invitation de l'Abbaye de Fontevraud / la Scène Prix de la fondation Ackerman commissariat Emmanuel Morin

caisses plastiques assemblées et découpées. 6,5 x 6,5 x 6,5 m

Vincent Mauger s’est immergé dans les caves de la Maison ACKERMAN, s’imprégnant de leur histoire, de leur lumière et de leur atmosphère. En art comme en vin, la perfection naît de l’alchimie entre différents éléments.

Ephémère et inaugurée en avril 2016, l’œuvre sera visible pour une durée de trois ans.

À partir de matériaux ordinaires (verre, carrelage, brique, bois, tuyaux de PVC…), il joue du décalage d’échelle et s’amuse des paradoxes entre réalité et virtualité, paysage et architecture, croquis et gros œuvre, artisanat et high tech, volume et légèreté, matérialisation et dématérialisation.

Tissant une réelle relation avec les lieux d’exposition, il les investit autant physiquement que mentalement. « Je n’interviens quasiment jamais sur le lieu lui-même (…). Ce n’est pas une attaque frontale, mais plutôt stratégique, tactique » déclare l’artiste. Il prolonge ces lieux de création par des installations aux principes d’assemblage laissés volontairement visibles et aux formes potentiellement proliférantes, invitant le spectateur à poursuivre mentalement l’œuvre.

JE N’AIME PAS LES OBJETS HABILLÉS 

Entretien entre Eva Prouteau et Vincent Mauger, artiste lauréat de l’édition 2016 de la Résidence Ackerman + Fontevraud La Scène.                                   

Dans l’art, la notion d’assemblage — un mot qui demeure plus technique que poétique — sous-tend deux flux de sens presque contradictoires : d’un côté la précision, de l’autre le bricolage et l’amateurisme. Cette puissance duelle caractérise aussi le travail de Vincent Mauger : stratégie et intuitions ludiques, système sophistiqué et relatif primitivisme.

Si les matériaux assemblés par Vincent Mauger varient (briques, bois, parpaings, cagettes en plastiques, tubes de PVC, éléments métalliques, papier), son œuvre réside presque toujours dans la réitération d’un même processus : l’assemblage et la répétition opèrent une transfiguration, une mutation où le vocabulaire du quotidien utilitaire se pare de magie, oscillant désormais entre l’esthétique du chantier et l’échappée onirique vers des contrées inconnues. Même s’il conserve l’intégrité de son matériau source, l’artiste libère de nouveaux potentiels de signification, des cosa mentale inédites. Dans les caves Ackerman, il imagine un ovni monumental, baptisé Monument synthétique : une sculpture en arrêt sur image, qui invite le visiteur à la croisée de fictions multiples qu’il n’appartient qu’à lui de poursuivre. Si l’entretien qui suit retrace l’aventure de cette résidence, il confirme également un positionnement artistique plus global : Vincent Mauger n’ambitionne nullement d’assigner à son œuvre un référent précis, mais préfère convier différents types d’univers et les concentrer dans une forme. Forcément énigmatique.

Votre premier contact avec ce lieu fut photographique, pouvez-vous l’évoquer ?

Lors du dépôt de candidature, je n’avais perçu les caves Ackerman que par quelques photos, et j’avais pris connaissance de l’installation de Julien Salaud par ce même biais. J’ai écrit ma première intention en réaction à cette œuvre, Fleuve Céleste : Julien avait investi tout l’espace, j’ai choisi un parti pris inverse, pour que les deux pièces se complètent, sans phénomène de redite. J’ai cherché à jouer avec l’existant, apporter une lecture différente : j’ai donc voulu laisser la cave la plus vide possible, et simplement venir y poser une sculpture monumentale, qui ne bloque en rien la vue sur le site mais enrichit la perception qu’on peut avoir des surfaces en présence.

Dans le champ littéraire, Umberto Eco a théorisé sur la question de l’œuvre ouverte, qui permet de repenser le rapport du lecteur à l’œuvre, qui bannit la lecture de consommation, la passivité du lecteur. Dans le même esprit, vous choisissez une forme très ouverte.

Je désirais une lecture polysémique : que le public puisse voir une forme végétale dissonante, comme une espèce de moisissure démesurée, ou quelque chose de plus minéral, ou de plus technique, comme un schéma graphique, un coloriage géant en 3D, avec plein de hachures qui se superposent. Mon ambition pour cet objet était qu’il donne envie de rentrer davantage dans cet univers de la cave, de regarder plus attentivement les interactions et les jeux avec les parois, et les images nées de ces interactions.

L’espace d’implantation de l’œuvre est lui aussi très ouvert.

Nous avons préféré un espace libéré, nu, sans accessoire se référant à l’activité des caves ou d’ajout trop visible d’intervention humaine, d’éléments visuels perturbateurs : que l’espace soit le plus dégagé possible, que l’architecture du lieu soit vraiment mise en avant.

Aviez-vous modélisé l’œuvre avant le commencement du chantier constructif ?

Non, seul le principe de construction fut préalablement défini. Je suis fasciné par la façon dont un objet se propage : un module identique se répète, comme une multiplication par division cellulaire, et l’objet grossit, dans un principe presque organique. À la genèse du projet, j’avais imaginé faire croître plusieurs formes : finalement je me suis concentré sur une seule, qui vient dialoguer avec le site, qui est comme un fragment de construction sobrement indéterminé.

L’espace où vous êtes intervenu est vertigineusement haut, sept mètres sous plafond.

Ma sculpture se devait d’être suffisamment imposante pour exister dans ce lieu, mais se garder de basculer dans la démesure, jusqu’à obstruer la vision : j’avais envie de donner l’échelle juste.

Cet équilibre à trouver dans la monumentalité ne vous a pas fait peur ?

À partir du moment où le principe constructif s’impose, ma seule crainte fut de ne pas avoir assez de matériaux par rapport au budget ! Pour ce type de forme, j’aime ne pas trop dessiner, et avoir seulement un plan mental d’ensemble : chaque module a été découpé au fur et à mesure, on a étudié l’impact plastique à plat, puis on a assemblé pour voir la forme du volume. Mais cette avancée « à l’aveugle » m’intéresse beaucoup : bien sûr, j’ai une intuition forte de ce vers quoi tendre, mais la découverte de la silhouette d’ensemble, au fur et à mesure que le chantier avance, demeure un vrai plaisir. Cela donne des formes moins maîtrisées, plus organiques ou végétales, loin de la vision que je pourrais avoir à l’avance avec un plan très précisé. J’aime quand mes sculptures ne sont pas tout à fait contrôlées. Pour des volumes de grande ampleur, c’est plus troublant. La prise de risque demeure stimulante sur des chantiers au long cours, et l’exploration plus drôle.

Combien de jours êtes-vous restés en montage ?

Un mois, accompagné d’assistants remarquables que je tiens à nommer : Julien Rodriguez, Mégane Bignon, Alice Couderc, Améliane Jouve, Mitsy Grellier, Jiang Chun, Ferdinand Makouvia Kokou et Bruno Pancrazi.

Quelles consignes leur avez-vous données ?

J’avais décomposé ma forme en tranches, et je connaissais le diamètre approximatif des tranches centrales, que viendraient progressivement étoffer les tranches latérales. Je voulais également sculpter une sorte d’ouverture ou de grotte dans cette forme générale, car je trouvais plus intéressant d’y introduire de la dissymétrie. J’avais calculé l’inclinaison souhaitable, à la fois pour que cela demeure réalisable au cours du montage, et pour que les casiers soient suffisamment inclinés pour qu’une géographie singulière puisse apparaître, de biais : on ne se retrouve pas face à un ensemble de trames orthogonales frontales.

Pourquoi préférer l’oblique ?

Les jeux d’ombres me paraissent plus riches grâce à ce basculement, qui permet également d’entrapercevoir les parois intérieures des caisses plastiques. Tranche après tranche, le volume s’est dessiné, tout en irrégularités, sculptées à la scie sauteuse.

Comment s’est opéré le choix des couleurs des casiers ?

En accord avec le lieu : pour rester en adéquation avec le site, je voulais préserver l’ambiguïté. Le module de base reste une caisse plastique industrielle, qui possède un impact sculptural incongru. Si je n’avais sélectionné que des caisses rouges, ou d’autres couleurs très soutenues, le mystère aurait été éventé au premier regard. Je voulais renvoyer à des références plus ambigües, des schématisations végétales et minérales, mais que l’artificiel ne jaillisse pas immédiatement.

Vous aviez déjà utilisé ce même matériau ?

Oui, lors d’une installation sur le bâtiment des Champs libres, à Rennes, une architecture signée Christian de Portzamparc : l’œuvre date de 2014, elle est également monumentale et s’intitule Positionnement stratégique.

 Pouvez-vous d’ailleurs commenter votre titre, Monument synthétique, choisi pour les caves Ackerman ?

J’aime les titres qui ne décrivent pas littéralement l’œuvre, même si en l’occurrence, l’idée de monumentalité est évidemment présente dans le terme monument. Le mot synthétique me semblait plus étrange, associé au monument : et cette œuvre énigmatique méritait un titre étrange ! Mais il charrie avec lui les notions d’image de synthèse, d’image numérique et de matériau de synthèse.

 Devant le paysage indéfinissable que vous suggérez, de nombreuses analogies peuvent affluer : peut-être que ce monument en fait aussi la synthèse ?

Ce qui m’intéresse dans cette forme, c’est que personne ne puisse y lire de scénario précis. À mes yeux, la sculpture est un volume troublant dont on a du mal à discerner la nature. Si elle est réussie, elle renvoie à une foule de références visuelles.

 La question de la trame et de la structure alvéolaire revient sans cesse dans votre travail.

L’équilibre entre la régularité d’une trame et les accidents qui peuvent y survenir me guide : j’affectionne les objets qui ont déjà un potentiel graphique affirmé, un réseau de lignes qui autorise des déploiements spatiaux d’envergure, des jeux de superposition ou de rupture. Je suis préoccupé, dans ma réflexion globale sur la sculpture, par la question de l’ossature, la structure en creux, le squelette qui s’apparenterait à un croquis dans l’espace. Je n’aime pas les objets habillés. Pour moi, une forme naît de son principe constructif, qui doit rester perceptible.

Ce principe vous amène à produire des œuvres traversantes, et dans les caves Ackerman, cette dimension est encore soulignée par la lumière artificielle.

La question de l’éclairage fut complexe à régler : je préfère le naturel à l’artificiel, je goûte peu les effets de théâtralisation par la lumière. De plus, il fallait rester très attentif à ne pas éclabousser l’installation mitoyenne de Julien Salaud qui nécessite la pénombre. Nous avons opté pour un éclairage d’ambiance, assez léger, qui maintient le mystère, la découpe en contre-jour. Et finalement nous avons beaucoup joué avec la mise en lumière, notamment pour accentuer la cavité présente sur l’une des faces du volume. Sur ce point, il fut assez difficile de suivre le montage avec une lumière totalement différente de celle qui fut conçue à la fin : par moments, nous sur-éclairions pour travailler, et cela me plaisait bien aussi ! Mais cela ne convenait pas au génie du lieu : une cave aime la pénombre.

Peut-être que cet éclairage accentue-t-il aussi la dimension cinétique de l’installation ?

L’art cinétique est habituellement moins perceptible dans mon travail, qui a pourtant toujours entretenu des accointances avec ce mouvement. Ici le jeu de références devient plus flagrant : la trame s’allie à l’électricité.

Avez-vous des artistes cinétiques de prédilection ?

J’aime les pénétrables de Jesús-Rafael Soto, ces environnements où le corps pénètre sans médiation artificielle, mécanique ou lumineuse. Je préfère là encore lorsque les objets restent bruts au maximum, et Soto a produit des épures magnifiques, notamment ce « pénétrable sonore », composé de barres d’aluminium suspendues, qui s’entrechoquent en musique lorsque le visiteur les traverse. Je préfère ce pan là de l’art cinétique, moins sophistiqué et moins théâtral.

De la même façon qu’un architecte « arrête » son bâtiment à un instant précis, à quel moment avez-vous senti que Monument synthétique avait atteint son équilibre ?

Une fois atteinte la hauteur que je m’étais mentalement fixée, je devais réussir à refermer la sculpture : c’est une opération qui ne souffre pas l’hésitation, il faut sentir le premier jet car les modifications ultérieures auraient nécessité de tout rouvrir. Dans ce cas précis, la forme refermée me convenait bien.

Est-elle très proche de l’image mentale que vous vous étiez imaginée ?

Elle n’est pas un décalque parfait, ce qui m’amuse assez. Sa forme globale est légèrement différente, du fait de sa construction en tranches, à plat : une fois dressée, l’impact perceptif est très différent. Par exemple, si l’on veut percevoir du sol un objet sphérique, il faut construire un objet ovale. J’ai aussi cherché certains accidents formels, sans savoir réellement ce que ça allait donner. Sur les sensations produites par une approche essentialisée (le côté minéral, la dimension végétale), je ne fus pas vraiment surpris : mais lorsque j’ai « découvert » la forme générale, je l’ai trouvée plus riche que ce que j’avais préconçu.

Que retenez-vous de la réception du public ?

Je pense, comme beaucoup d’artistes, construire des œuvres pour tester la forme, éprouver à grande échelle et confronter le résultat à l’intuition d’origine. Nous nous faisons plaisir à nous-mêmes avant tout ! Dans n’importe quel domaine, la première stimulation d’un chercheur n’est pas la conquête du public, même si les retours positifs ont une grande importance. Parfois, les gens projettent sur mes œuvres des images qui peuvent me surprendre, ce qui finalement ne s’avère pas très étonnant : mes installations sont parfois proches de tests de Rorschach, elles contiennent de nombreux signes qui révèlent ceux qui les produisent. Je suis pour que les visions s’additionnent plutôt qu’elles ne se concentrent en un point focal unique.

Un an après, vos impressions sur Monument synthétique ont-elles changé ?

L’intervention de Bertrand Gadenne adoucit l’introduction du parcours, elle complète et enrichit les deux propositions antérieures. Ces trois facettes, trois approches, trois démarches sont tellement différentes : leur synergie met davantage encore les caves en valeur. De plus, comme mes formes naissent plutôt instinctivement, j’ai parfois la sensation en les revoyant que je n’en suis pas le réel auteur, que je n’ai fait qu’établir un système de construction qui s’est ensuite émancipé. L’intense adéquation avec le lieu m’a frappé en revoyant l’installation.

En 2016, pendant l’événement La Cité idéale, vous avez montré une autre sculpture à l’Abbaye de Fontevraud.

Cette pièce s’appelle L’Omniprésence des possibles, et elle est également constituée de caisses en plastique vert sombre : à la fois délicate et brute, elle venait se poser sur le gazon, dans un équilibre un peu précaire, et la circulation chromatique avec le contexte me plaisait beaucoup.