Exposition collective réunissant Nicolas Chatelain, Franck Gérard, Rémy Jacquier, Éric La Casa, Grégory Markovic, Vincent Mauger, Pierre-Alexandre Remy, Michaële-Andréa Schatt.
J’ai pensé une exposition à l’image d’un paysage contrasté : voir / expérimenter / sentir ; de près / de loin ; se déplacer / s’arrêter ; devant / dedans ; des reliefs hauts en couleur et des choses plus ténues. Huit artistes aux pratiques diverses (peinture, dessin, photographie, sculpture, création sonore) investissent la totalité des espaces sur près de 1000 m2 : espaces domestiques du château, vastes volumes des anciennes écuries, alcôves intimistes de la bergerie. Six d’entre eux ont réalisé tout ou partie des œuvres présentées dans le cadre d’une résidence au Domaine. Je remercie Karim Ghaddab pour le regard porté sur cette exposition et les mots qui l’accompagnent.
Olivier Delavallade
Par son implantation et son caractère à la fois patrimonial et agreste, le domaine de Kerguéhennec compte parmi les centres d’art les mieux implantés dans l’environnement naturel de son territoire. Une exposition sur le thème du paysage y est donc tout à fait pertinente, sinon attendue. Mais alors que le domaine possède un remarquable parc de sculptures, cette exposition ne prend pas le parti d’occuper l’espace du paysage, d’inscrire des œuvres dans le paysage, de travailler dans le sens du land art. Au contraire, les œuvres sont exposées dans les salles des différents bâtiments du domaine. L’option envisagée déjoue donc l’évidence et envisage l’hypothèse de la représentation : non pas un semis d’art qui viendrait redonner une vigueur esthétique à la nature environnante, mais une invitation faite aux artistes à s’emparer du paysage comme modèle, dans tous les sens du terme. Représentation et modèle ne signifient pas ici reproduction de l’apparence, mais élaboration de formes et de procédures analogiques.
Comme le rappelle Gilles A. Tiberghien, « ce ne sont pas les produits de la nature que l’art imite mais bien son activité productrice». La plupart des artistes ont, en effet, travaillé en résidence à Kerguéhennec, déplaçant lesmodalités de l’in situ, pour faire du paysage la source des œuvres à venir et non leur destination. L’exemple le plus explicite de cette attitude est sans doute la sculpture de Pierre-Alexandre Remy. C’est un énorme entrelacs de rubans de métal et d’élastomère : lignes noires brisées, ondoiements bleus et orange qui reprennent le code couleur des cartes IGN symbolisant les routes, les cours d’eau et les courbes de niveau.La sculpture est donc la réalisation en trois dimensions d’une modélisation bidimensionnelle, la carte des environs de Kerguéhennec, qui est elle-même la transcription d’un espace en volume. L’opération ne retient du paysage que les réseaux de circulation et les réordonne en jouant sur les codes — entre respect et transposition — pour produire une forme nouvelle. Vincent Mauger, quant à lui, a construit deux gros volumes, techniquement simples (un montage de palettes entrecroisées) et complexes du point de vuede leur organisation. La forme globale évoque à la fois la masse d’un rocher, la légèreté d’un nuage, une maquette post-constructiviste et une modélisation informatique. Curieusement, l’aspect bricolage rustique y côtoie la technicitédes sciences de l’ingénieur. Les œuvres de Pierre-Alexandre Remy et de Vincent Mauger ressemblent sans doute aussi à des nuages, mais du genre des tag clouds permettant de visualiser les flux de navigation sur un site Internet.
[…] Comme le démontre la diversité des œuvres présentées dans cette exposition, le paysage n’est pas une image. C’est un ensemble organique de données sensibles en constante reconfiguration.
Karim Ghaddab