Depuis une dizaine d’années, j’ai amorcé des recherches autour du dessin. Geste et espace y tiennent les premiers rôles, mais la durée et la matière sont aussi des éléments liminaires de cette pratique. La contemplation et la méditation composent la dynamique complémentaire de ce travail. L’observation des végétaux, des matières naturelles, mais aussi des dessins tantriques, des peintures aborigènes et bien d’autres pratiques alliant graphisme et démarche spirituelle participent à ma réflexion sur ce médium. Il s’agit de mettre en œuvre la durée, les éléments minéraux, le graphite, la suie, le carbone, l’eau, d’exploiter les phénomènes de concrétion, de précipitation et de sédimentation pour faire apparaître des images tactiles. Antérieurement à ma pratique du dessin, préexiste ma pratique de la sculpture et de l’installation, de la photographie et de la vidéo. De façon assez naturelle, j’ai souhaité mêler ces pratiques à travers des expérimentations de mise en volume de dessins, d’application de techniques propres à la sculpture sur des supports papier, d’usage de matériaux destinés à la sculpture pour la pratique du dessin. À travers ces différents médiums se jouent des analogies possibles entre végétal et animal, organique et minéral. Ainsi, les souvenirs d’expéditions fictives se forment par bribes, au gré des formes, des matières, des fragments et composent un univers lacunaire. Ces rencontres discrètes mais inédites de matériaux ou d’objets, ces assemblages miment des apparences naturelles qui, en réalité, sont fabriquées de toutes pièces. Ce travail plastique engage, plus largement, un travail de réflexion attaché à des notions d’éthique et une conception particulière de notre environnement, de l’animé et du non animé, aspirant à être projetée plus largement à d’autres échelles de notre expérience du monde. Exposer les liens, qui rassemblent, qui unissent et non ce qui différencie, divise et sépare est une activité essentielle. Absorbée par l’observation de l’invisible, il s’agit de transposer cette expérience sensible du monde, d’éprouver les liens intimes entre les choses. A l’instar des pensées animistes, taoïstes, sonder l’essence de ce qui nous entoure afin d’en recueillir les caractères impermanents ou éternels, le souffle, l’énergie, les cycles pour ensuite matérialiser une conscience respectueuse, susciter la déférence.
Manon Tricoire