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oeuvres et performances :Ebrèchements brûlants . Clonisation . Ebrèchement pneu . Cytérythmie . Ebrèchement câble électrique . Ebrèchement carton
Avant la poussière, Benoit Travers Extrait / Marion Zillio, 2018
Benoit Travers
De l’air brassé au vent qui nous souffle dans le dos, on suit alors les lignes d’un câble électrique qui semble avoir été saboté. S’appuyant sur l’embrasement qui, des grèves aux électrocutions puis à l’immolation de Mohamed Bouazizi en décembre 2010, conduisit aux mouvements de révolte dans le sud de la Tunisie, Benoit Travers creuse les failles par des gestes répétés. Dans la logique de ses diverses actions et performances, il martèle de manière continue une voiture coincée sous les gravats dans le Oued asséché d’el Melah, comme pour en accélérer l’érosion ; il ébrèche à grand coup de sabre les crampons d’un pneu semblant évoquer le rocher que roule chaque jour Sisyphe jusqu’en haut d’une colline. De ces superpositions et polyrythmies, il en ressort un « dialogue sonore » rejouant l’entremêlement des rythmes percussifs produit par les ouvriers sur les chantiers. Son geste, en apparence vain et monotone, travaille les récits comme des actes, procède d’une poésie en lutte contre les destins scellés. Il incarne la capacité de remettre la croyance au service de possibilités politiques utopiques ou matérielles. Portant son attention sur des éléments saillants de l’espace urbain à Gafsa (ses briques, ses tas de pneus, ses tôles de voitures…), Benoit Travers érige les conditions d’une « architecture f(r)ictionnelle » qui façonne une partition musicale que l’on ne sait pas encore jouer. Cette dernière libère peu à peu de l’engrenage sisyphéen, des images premières, des fictions et des réalités qui empêchent de voir autrement le territoire ou d’effectuer des pas de côté. Comme le moucharabieh, son installation de briques poinçonnées produit un maillage qui accélère le vent et, dans le même temps, dérobe des regards indiscrets.
L’œil s’affine. Les détails prennent de l’épaisseur. L’on remonte le fil du temps, l’on se laisse doucement impacter par le territoire et son histoire, et l’on se détache enfin d’une atmosphère d’expédition scientifique aux réminiscences colonialistes.
Marion Zillio, © 2018
TEXTE EBRECHEMENTS / UNDER THE SAND – CLARA MULLER, 2019
Dans le cadre du projet Under the Sand, le travail d’ébrèchement de Benoît Travers prend un tournant politique. Lors du de création à Gafsa, dans l’oued el Melah en Tunisie, il choisit ses objets parmi les éléments au rebut, récurrents dans le paysage urbain. La révolution tunisienne s’incarne ainsi dans quelques objets tragiquement symboliques. Les jerricans ébréchés portent en eux le souvenir de l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi qui en 2010 marque le départ de la révolution, tandis qu’un câble électrique tailladé, enroulé comme une couronne d’épines, s’érige à la mémoire des jeunes tunisiens morts par électrocution en escaladant des pylônes électriques entre 2010 et 2016. Les pièces issues de ce projet acquises par le fond de dotation Katapult témoignent quant à elles plutôt d’une détermination toujours renouvelée face à une forme de violence insidieuse à l’œuvre dans un contexte de crise économique et politique.
Ébrèchement voiture Oued El Melah, 2017Vidéo de performance
Dans les décombres d’une décharge sauvage de Gafsa, Benoît Travers martèle l’épave d’une voiture. Ses gestes se répètent dans une boucle vidéo qui ne paraît pas avoir de fin, rythmée à chaque cut par une respiration, un soupir, un regain d’énergie. Comme un mineur courbé piochant la terre pour excaver la matière, l’artiste s’acharne sur ce métal déjà miné, déjà forgé, utilisé, usé et puis jeté. Sur un rythme rapide les impacts résonnent dans l’objet autant que dans les bras de l’artiste. Les deux partis accusent les coups. L’obstination du geste entretient la lutte, la longue lutte contre l’inflexibilité, contre ce qui semble tellement plus fort, tellement plus résistant, mais qu’à force de ténacité il est possible de faire changer. Changer, et non détruire. La surface scarifiée de la voiture prend bientôt un aspect presque pictural, comme parcourue de touches de peinture du bleu du ciel.
Ébrèchements brûlants, 2017
Tirage photographique sur acier galvanisé et martelée
Benoît Travers pratique une sculpture performative dont les gestes répétitifs étirent le temps. Comment l’empreinte photographique, qui fige l’instant, pourrait-elle rendre compte de cette pratique singulièrement animée ? Loin de n’en faire qu’une simple documentation, l’artiste choisit de redonner à l’image matérialité et texture. La carcasse de voiture fut martelée des heures durant, son image d’acier le sera également, dans une de ces mises en abyme chères à l’artiste. La photographie porte ainsi les marques matérielles d’un geste, ses pourtours érodés prennent l’aspect rocailleux des gravas, et ces effritements photographiques suggèrent un processus de transformation ou de disparition au temps long.
Clonisation, 2017
Tôle de voiture en acier martelé
Clonisation. Sur un fragment de portière de voiture trouvé dans une décharge sauvage à Gafsa, l’artiste tatoue ce mot mal orthographié comme une marque infamante. Chaque pointillé sur ce vestige arraché est comme un clou enfoncé, un impact indélébile de la violence coloniale. La lettre oubliée ne se remarque pas immédiatement. Le souvenir de la colonisation s’impose encore trop spontanément aux esprits. Langue, coutumes, identité clonées et imprimées de force dans la peau du territoire, dans la peau de ses habitants… L’injonction, dans chaque coup, résonne : « Soyez ce que nous sommes ! »
© Clara Muller, 2019.