10 avril – 6 juin 2009
Artistes : Christophe Berdaguer & Marie Péjus, Olafur Eliasson, Judith Fegerl, Ceal Floyer, HeHe (Helen Evans, Heiko Hansen), Guillaume Leblon, Vincent Mauger, Michel Paysant, Tobias Putrih, Ariel Schlesinger,
Alberto Tadiello, Luca Vitone
Scientifiques : Denis Bartolo, José Bico & Benoît Roman, Benjamin Haffner & Rémi Margerin
Commissaires : Mélanie Bouteloup et Hélène Meisel
« L’imagination est tout aussi importante dans les arts que dans les sciences. Les nouvelles découvertes, les nouvelles avancées dans les sciences, même d’un point de vue rétrospectif, ne suivent aucun cheminement logique. Elles soulèvent de nouvelles questions, elles ouvrent la possibilité de nouvelles voies à explorer, tout comme le font de nouvelles créations en art. [1] »
Dans le quartier encore en chantier de la ZAC Paris Rive Gauche, l’exposition « Science versus fiction » propose d’articuler architecture, sciences et imagination. Il s’agit de remettre en question l’innocence supposée des pratiques artistiques, l’abstraction de la recherche scientifique et l’arrogance des postures architecturales. [2] « Science versus fiction » propose une approche pragmatique de l’architecture, par l’examen, l’expérimentation et la mise à l’épreuve de ses matériaux.
Pour ce faire, nous mettons la limite à l’épreuve : la distinction objet d’art/objet de sciences s’annule au profit de seuls objets de recherche, testant les qualités physique et psychique du corps de l’habitant, les comportements des matériaux et de leur mise en oeuvre. Les démarcations entre artistes, chercheurs, architectes et ingénieurs tombent également, sous l’effet d’un recours commun aux schémas et modèles réduits, bricolages et essais intuitifs. Le test instantané comme l’expérience longuement mûrie offrent l’opportunité de découvertes inattendues, ainsi que le temps nécessaire à l’écoulement d’un processus, à l’apparition de formes hasardeuses et imprévisibles. Certaines oeuvres de sciences et d’art se révèlent être les moyens d’ouvrir une brèche dans ce que l’architecture a de plus conformiste, d’utilitaire et d’impraticable.
Science versus fiction défend une approche sensible et individuelle de l’architecture. Ici en effet, « versus » signifie moins l’opposition que le rapprochement. Le titre de l’exposition est celui d’une oeuvre de Tobias Putrih, où des images rassemblées par paires confrontent figures de fiction et formes scientifiques (par exemple, la voiture Dymaxion de Buckminster Fuller versus le vaisseau de Startrek). Ces couples librement associés visualisent les affinités liant sciences dures et science-fiction. Afin de déceler ces libres associations, le test psychologique et la méthodologie scientifique seront nos outils de prédilection : se rapprocher de la matière par l’analyse, mais aussi, au moyen de recherches de physique expérimentale, appuyer la construction plastique sur des tests de résistance des matériaux ou de mécanique des fluides… L’étude du moléculaire, vecteur d’une compréhension d’ensemble, favorise une réceptivité accrue à l’invisible, l’imperceptible, l’impondérable. Alors, Science versus fiction, en exploitant la portée de phénomènes naturels et d’observations scientifiques remarquables, rêve la possibilité d’une architecture autre, assimilant notre expérience sensible et sensitive du monde : organique, active, réactive, individualisée, éphémère, perfectible, précaire parfois… Ni néfaste, ni bénéfique, une architecture aussi instable et imprévisible que le précipité d’une réaction chimique.
Science de l’expérience et de l’empirique, le bricolage de l’habitant-usager nourrit aussi cette pratique décomplexée du « fait maison », du low tech. À « l’architecture des architectes », aux maquettes high-tech et simulations virtuelles, nous préférons reconsidérer l’ingéniosité du bricoleur à installer, aménager et réparer, en amateur. Revenir à des stades plastiques préparatoires, moins spectaculaires, mais plus concrets : des objets à expériences, visionnaires ou ratés, fantasmés ou utopiques. Comme un voyage dont la destination importe moins que le trajet, la validité des objets conçus importe moins que la tentative de leur fabrication.
L’imagination du promeneur, réceptive au détail et à l’incident, sujette au rêve et au souvenir, s’avère tout aussi capable d’applications concrètes viables. De même, la subjectivité de l’individu participe de son appropriation de l’espace urbain. Nous reconnaissons ainsi à l’utilisateur un savoir empirique, une imagination sensible et des dispositions critiques considérables. L’habitant en proie au déterminisme de l’urbanisme, se révèle aussi en prise de l’aménagement de son territoire. Selon Yona Friedman, « C’est au futur utilisateur qu’appartient légitimement le pouvoir de décision [3]. »
L’urbanisme conditionne des comportements et génère des émotions, en cela, c’est aussi une science de la sensibilité. Le Corbusier écrivait : « L’architecture, c’est, avec des matériaux bruts, établir des rapports émouvants [4]. » Certaines architectures, pourtant nées de désirs utopiques, se sont avérées invivables ou anxiogènes. Le quartier de la ZAC Paris-Rive gauche, aménagé selon le principe de Portzamparc de l’îlot ouvert, peut sembler froid et peu accueillant à vol d’oiseau : rectiligne, gris et cubique. L’exposition aura pour ambition de supplanter la focale aérienne par un rapprochement physique et sensible permettant de voir à nouveau les bâtiments comme des « objets à réaction poétique » selon les termes de Le Corbusier.
Notes
[1] (Israël Rosenfield dans Que diriez-vous d’un supplément devie ?, cat. expo. Berdaguer et Péjus [Le lieu unique, Nantes, 28janvier au 26 mars 2006], Nantes, éd. Le lieu unique, 2006)
[2] (Israël Rosenfield dans Que diriez-vous d’un supplément de vie ?, cat. expo. Berdaguer et Péjus [Le lieu unique, Nantes, 28 janvier au 26 mars 2006], Nantes, éd. Le lieu unique, 2006)
[3] Yona Friedman, Pour une architecture scientifique, Belfond, Paris 1971.
[4] Le Corbusier, Vers une architecture, ed. Flammarion, Paris 1995. Edition originale publiée en 1923.