Sur une plaque de cuivre, est gravé le sigle TNMOA souligné de The National Museum Of Africa. Quelques socles de bois peints en blanc et coiffés de vitrines de plexiglas occupent l’espace de la galerie. Ils portent des cartels où l’on peut lire, comme sur l’un d’entre eux :
1) Epingle à cheveux en os gravé. Provenance : Ovambo, Angola 1ère moitié du 20ème siècle. Référence : ETHAF 008746 ; 2) Bracelet royal. Provenance : Région A.E.F, Oubangui, Yalinga, Centrafrique. Matière : cuir, D : 12,3 cm. Référence : ETHAF 022843 ; 3) Collier royal. Provenance : Lesotho 19ème siècle. Fonction : rituel et religion. Matière : cuir. Référence : ETHAF 003545 ; 4) Torque en laiton. Provenance : Fang-Ntumu ; Cameroun, Guinée équato¬riale. Matière : laiton, D : 17,5 cm. Référence : ETHAF 009583. Cette description se termine par « OEuvres en prêt pour une durée indéterminée au Musée Ethnographique de Genève ».
Si cette liste évocatrice mêlant les géographies et les temporalités peut nous séduire, on pourrait dire, en parodiant un titre de Daniel Arasse, qu’on n’y voit rien !
De fait la protection plastique ne protège aucun objet et n’offre à voir que le vide et l’ab¬sence des dits objets. Chaque socle réitère ce procédé : un cartel décrivant précisément la provenance et la matière d’un bijou, d’un mobilier ou d’une arme, ayant en commun leur statut d’objet d’apparat ou de pouvoir royal d’une chefferie africaine. Toutes ces oeuvres dûment répertoriées sont pourtant singulièrement absentes des socles, « prêtées » pour une durée indéterminée, qui au Metropolitan Museum of Art, New York, qui au Musée de l’Homme, Paris ou au Musée Royal de l’Afrique Centrale, Tervuren, Bruxelles, et bien d’autres encore.
S’appropriant les codes de présentation du musée, invention purement occidentale déli¬vrant les oeuvres de leur fonction, l’artiste Moridja Kitenge Banza, auteur de cette instal¬lation, procède en quelque sorte à un récolement virtuel de ses collections. Il vérifie la présence des pièces, bien réelles, même si elles ont été « empruntées », pour ne pas dire volées pour les musées occidentaux, dans les collections du musée qu’il crée pour échapper à l’oubli et à l’éparpillement voulus par l’histoire du continent africain à travers l’esclavage, la colonisation et la recomposition de réalités anciennes et nouvelles. On comprend alors que cette invisibilité des oeuvres rend visible tout le questionnement de l’artiste, sur la mémoire d’un continent pulvérisée aux quatre vents, la transmission de son Histoire, la connaissance de ses racines. « Mémoire et culture ne font qu’un. Les fondations sur lesquelles nous bâtissons notre présent et projetons notre avenir sont composées des cendres d’un passé que nous n’avons pas vécu. La réalité de ce passé est à dénicher dans quelques traces, certains objets, certains vestiges. Ces traces ont de la force du fait de leur capacité d’évocation. Elles peuvent servir de relais à la mémoire défaillante, or celles-ci sont parsemées de blanc. » déclare en substance Moridja Kitenge
Moridja Kitenge Banza
The National Museum of Africa, 2010
Courtesy of Galerie Hélène Lamarque Miami