Chantier en maison
Comme si je voulais construire une maison en commençant par les plans, les murs, le toit, la cave, les huisseries, l’aménagement, la déco et le jardin en même temps, je n’ai de cesse d’entamer des chantiers.
Suivant la saison, les matériaux, le temps et l’espace, j’agence une forme plastique qui s’étire et revient sur elle même.
Je me consacre à la construction et à la sculpture : trois briques pour caler ce mur, six tôles sur le toit, un chauffe-eau pour la baignoire… Et soudain mon esprit chercheur va divaguer pour trouver quelques concepts, quelques vidéos et photographies : optimiser la rampe d’entrée, gérer un dégât des eaux, trouver l’électroménager adéquat …
C’est par peur de l’ennui que je reste à l’affût d’un neuf exaltant ou que je n’hésite pas à me replonger dans un ancien chantier délaissé un temps.
Les choses roulent ou trébuchent dans toutes directions pour mieux s’entrechoquer.
Aussi protéiformes que ma pratique, les sujets traités tournent finalement bien en rond : une logique propre poussée à l’extrême, un décalage empreint d’absurde, des combinaisons incongrues, le goût pour les actions vaines et sincères, pléthore d’images poétiques chargées d’un trait d’esprit tordu forment les chemins qui mènent chez moi, to my home sweet home, ouverte aux quatre vents.
Le corps dégingandé et l’esprit alerte marchent de concert : les mains réalisent soigneusement l’idée retournée, la voix se prête aux emballements sonores, les yeux scrutent des espaces en attente d’une proposition mélancolique, le cerveau éveillé par la mécanique des jambes cherche la petite Histoire. Entre archéologie et travail du bâtiment, je fouille et j’échafaude, une manière d’enterrer et de démolir pour mieux chercher et reconstruire.
Il pleut dans ma cuisine et ma maison ne sera jamais fini.
Jean Bonichon, janvier 2013
Lire la chronique de Marion Daniel, les riches heures de Jean Bonichon