« Il y a plusieurs manières d’aborder le travail de Christine Laquet. L’une des lectures possibles s’intéresserait aux artefacts et peut-être plus précisément encore aux instruments que convoque l’artiste et qui relèvent tous à leur manière d’une science, archaïque ou moderne. Une science dont les objectifs – la capture et la preuve – sont ici détournés pour donner à voir, à ressentir un moment précis, un seuil d’apparition.
L’artiste nous invite à un récit de l’attente dont nous supposerons ici que la figure centrale a plus à voir avec l’éclaireur qu’avec le chasseur. Imaginer un récit et s’intéresser à la dimension spéculative de ce travail suppose un mouvement de circulation entre les artefacts, les œuvres devenant alors au-delà de leur présence propre les indices d’une histoire sous-jacente et l’exposition, tour à tour une fable ou une archéologie.
L’une des tensions les plus intrigantes de cette œuvre est ainsi la relation aux objets qu’elle induit, tant ils sont à la fois ouvragés à dessein d’une séduction assumée et cependant disposés sur notre chemin comme les intercesseurs – les objets-éclaireurs- d’un monde invisible. De ce point de vue, ils énoncent conjointement à leur technè – et à la «fonctionnalisation» de l’objet moderne – un vocabulaire symbolique et archaïque qui rappelle l’intrication des pratiques de la chasse avec celles de la magie. Ce double énoncé, cette double «fonction» est sans nulle doute ce qui fait du travail de Christine Laquet un territoire troublant où se confrontent deux forces en lutte dans la modernité; deux approches concurrentes dans la recherche d’une saisie du Réel: le rite et la science. (…) »
Olivier Marboeuf, dans L’éclaireur et le loup. catologue d’exposition, ed. FRAC des Pays de la Loire, 2014.
Fly fishing
Techniques mixtes (acier galvanisé, moteur rotatif électrique, caoutchouc, cable), 2010.
Voir le voir (le loup) / (la biche) / (le cerf)
3 peintures acrylique et encre japonaise sur voile en polyester, 3 x 2 m chacune, 2012.
Une brève histoire de tout
2 clôtures en fer à béton et fer plat, 104 x 180 cm (x2), 2012.
Une brève histoire de tout, titre de l’exposition est marqué en toute lettres et en diverses directions, dès l’entrée de l’exposition. C’est une grille disposée comme un filtre, une barrière, cloisonnant sans murer, sans enfermer. À partir des mots du titre auquel elle rajoute le mot « toi » – comme une invitation – l’artiste compose un haiku, une incantation à déchiffrer avant de franchir la barrière.
Passé ce sas, on s’engage dans l’exposition. un projet construit autour du piège, de la traque, de la capture. À l’instar de cette nouvelle série de peintures réalisées à partir d’archives d’un proche de l’artiste, qui a mis en place au cœur d’un massif montagneux français, des pièges photographiques. en résultent des clichés d’animaux réalisés à partir d’un mécanisme automatisé déclenché par leur passage à proximité. « Ces animaux – dit l’artiste – pris au piège de l’image délivrent une pose qui me renvoie à l’acte photographique lui-même. Sa violence, sa poésie, sa beauté, de l’animal pris sur le vif, acteur et captif en même temps d’un témoignage qui, par cette technique, se rapproche de la caméra de surveillance en espace naturel ».
À partir de ces images, Christine Laquet réalise des peintures noir et blanc de grand format sur voiles transparents suspendus. La technique utilisée joue avec la transparence du tissu, les manques réservent des blancs qui piègent et révèlent la lumière, en même temps qu’elle assoie une certaine fragilité. telle une apparition fantomatique, l’animal traqué apparaît de manière irréelle. Le passage du médium photographique à la peinture, opère une distance avec le modèle. La peinture plus organique se révèle d’autant plus inquiétante et troublante par ses effets de matière, ses coulures. Prises dans l’obscurité de la forêt, ces images participent du fantasme de l’animal sauvage. Quelle croyance traverse notre mode de pensée et notre regard ? « Comment regarder sans croire ? et comment regarder au fond sans prétendre nous en tenir aux certitudes de ce que nous voyons. » écrit Georges Didi-Huberman, dans « Ce que nous voyons, ce qui nous regarde ».
Avec You should never forget the jungle, Christine laquet instaure le temps d’une performance (restituée ici en film) un face à face avec Robert Steijn, performeur et danseur. L’animal sauvage traqué est aussi ici la proie des questionnements posés par les deux artistes pour mieux mettre en évidence la complexité des relations de l’homme envers l’animal. Dans l’échange qu’ils établissent face à nous, ils s’interrogent sur une pratique rituelle ancestrale – le Chamanisme – qui a résisté aux grandes crises spirituelles des XiXe et XXe siècle, en érigeant l’esprit (animal ou humain), le non visible comme force tangible. tour à tour récepteurs et projecteurs, leurs corps évoluent jusqu’à sonder l’état de la transe.
Cet ensemble de nouvelles pièces est mise en regard avec des œuvres datant de 2008 à 2010. Comme Trapèze, réalisée en verre, qui offre dans son aérienne transparence, une structure d’appui en équilibre, en balancement entre la terre et les airs, un entre-deux caractéristique pour Christine Laquet de la place de l’artiste. en regard de cette sculpture évanescente, l’œuvre SongeSinge suspendue elle-aussi, associe deux matériaux qui combinent l’idée du piège : une guirlande lumineuse, leurre visuel attractif assemblé à du fil barbelé. Mis en écho avec Gorilla, dessin montrant le portrait d’un gorille à l’air grave dans une pose presque humaine ou encore avec une monumentale canne à pêche en mouvement ornée d’un hameçon customisé, Christine Laquet livre l’état d’une humanité piégée par ses propres réflexes de défense, sa quête de domination et du pouvoir. « Fermons les yeux pour voir.* Vanina Andréani.
* James Joyce, Ulysse