Qu’est-ce qui fait réellement œuvre, à quel moment apparaît-elle, qu’est-ce qui décide de sa forme finale ? Les préoccupations qui animèrent les promoteurs de la sculpture moderne lorsqu’il cherchèrent à définir une œuvre, à appréhender sa réalité intrinsèque, ses déterminations internes, les intentions de l’auteur qui transparaissent plus ou moins dans ce qui est donné à voir au final, ressurgissent un siècle plus tard à travers l’emprise de l’autour des œuvres. Non pas le discours qui les entoure, les légitime et les installe dans leur statut d’œuvre mais, plus prosaïquement, toute l’enveloppe protectrice qui correspond à une augmentation exponentielle de leur propension à circuler et à stagner. Les emballages des œuvres ne sont pas juste de vulgaires bouts de cartons ou de polystyrène protecteur qui maintiennent l’œuvre en état, la préservent des chocs extérieurs dans ses nombreux voyages ou la conservent dans ses longues phases de stockage : bien plus qu’une simple enveloppe matérielle, ils sont devenus au fil du temps et des modifications du mode majeur « d’être au monde » de l’œuvre, sa condition principale d’apparition, puisque, hormis les rares moments ou l’œuvre est exposée nue, elle est la plupart du temps enfermée dans son écrin protecteur en bois,bullpackou autre carton, y compris lorsqu’elle fait l’objet d’un achat par un collectionneur : elle rentre ainsi, extérieurement, dans une espèce de communauté formelle qui la ramène au rang de matériau grand public, banale fourniture de chez Leroy Merlin ou Home Depot…
À tel point que cet emballage qui la contamine et la colonise de plus en plus — à l’instar du discours critique et communicationnel — fait de plus en plus œuvre. Car l’emballage des œuvres — celui qui consiste la plupart du temps en un provisoire qui s’éternise — et sa diversité de matières flashy, translucides tels les bullpack légers, les 50 nuances de gris des cartons recyclés ayant servi à d’autres usages, les scotchs de toutes les largeurs et de toutes les couleurs, forme pareillement un discours qui en dit presqu’autant qu’un communiqué de presse. Les œuvres sont parées comme des individus et, de plus en plus, la distance entre le contenu et le contenant peut se révéler excessivement élevée ; des matériaux sans qualités peuvent être conservés dans des caisses luxueuses, accentuant le décalage entre des matières brutes et la valeur marchande de l’œuvre : de fait, c’est bien souvent la qualité du paquetage qui donne le plus sérieux indice de cette valeur. De nombreux artistes dans l’histoire de l’art se sont intéressés à ces « excroissances » qui appartiennent sans appartenir à l’œuvre, qui l’expriment sans user de mots et qui la révèlent par défaut, à l’instar du paratex.
Exposition
avec Béatrice Balcou, Victoire Barbot, Carole Douillard, Christo*, G. Küng, Marcelline Delbecq, Maïlys Lamotte-Paulet, Erwan Mahéo, Yuki Okumura, Blaise Parmentier, Julien Quentel
Zoo galerie
31 mars – 6 mai 2017
www.zoogalerie.fr